La chute de la maison Usher

La chute de la maison Usher - Edgar Poe

Auteur : Marie Absil, Philosophe, animatrice au Centre Franco Basaglia

Résumé : Avec La chute de la maison Usher, Edgard Allan Poe nous offre une nouvelle qui interroge la question de l’hospitalité. Roderick, atteint d’une maladie nerveuse, demande à son ami d’enfance de venir séjourner auprès de lui. Il espère profiter de l’influence bénéfique de la joie de vivre de son hôte. Mais l’hospitalité n’est jamais neutre, l’influence fonctionne dans les deux sens, et nous allons voir comment l’ami de Roderick va également se voir affecté au cours de son séjour. L’écriture fantastique d’Allan Poe souligne aussi le pouvoir extraordinaire que les lieux peuvent avoir sur leurs habitants.  

Temps de lecture : 15 minutes

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« Scènes pour des politiques d’hospitalité » sont des textes d’analyse qui tentent de réfléchir aux mouvements que les histoires d’hospitalité induisent dans les rapports humains. Ces analyses sont construites à chaque fois selon le même schéma. Une scène est extraite d’une œuvre littéraire, plastique, poétique, … Elle est présentée en début d’article. Nous essayons ensuite de qualifier les hôtes : quels noms portent-ils, quelles sont leurs qualités ? Enfin, nous nous demandons en quoi cette scène d’hospitalité questionne et transforme les rapports humains, voire invite à de nouvelles politiques.

 

Le narrateur de l’histoire (qui ne sera jamais nommé) reçoit une lettre de son ami d’enfance Roderick Usher qui l’appelle à l’aide. En effet Roderick est atteint d’une maladie étrange qui se manifeste par une hyperacuité des sens et une grande anxiété. Sa sœur jumelle, Madeline, est également malade, elle tombe régulièrement dans des états de transes cataleptiques. Roderick pense qu’une présence extérieure pourrait le distraire de son mal et il demande à son ami de venir séjourner quelques temps chez lui.

A son arrivée, le narrateur est très impressionné par la maison qui lui donne le sentiment d’une insondable tristesse. Les murs, les fenêtres et même la végétation alentour, tout semble respirer la mélancolie. Cette impression est encore aggravée par une fissure qui court tout le long de la façade de la maison, comme une cicatrice.

Très vite, le narrateur va découvrir qu’il n’est pas le seul à être affecté par l’influence de la maison. Roderick est convaincu qu’elle est dotée de sens. Il explique à son ami que cela est dû à la manière dont la végétation s’est entremêlée à la maçonnerie de la vieille demeure. Pour passer le temps, les deux amis lisent, récitent des poèmes, jouent de la musique… le narrateur faisant tout son possible pour distraire son ami de ses pensées morbides. Mais c’est un combat perdu d’avance et il s’aperçoit que c’est plutôt lui qui est gagné peu à peu par la mélancolie. Un jour, Madeline meurt et est portée dans un caveau dans la maison. L’état de Roderick s’aggrave alors de manière inquiétante. Une nuit de tempête, Roderick soutient à son hôte que sa sœur a été enterrée vivante. Des bruits effrayants se font entendre dans la maison. Soudain, la porte de la chambre s’ouvre sur Madeline, égarée et ensanglantée, qui s’avance vers son frère pour s’effondrer, morte, dans ses bras. Roderick meurt sur le coup de l’émotion. Épouvanté, le narrateur fuit alors la maison. Sorti du parc, il se retourne une dernière fois vers la demeure. A la lueur d’un éclair, il voit la fissure qui parcourt la maison s’élargir jusqu’à causer l’écroulement du bâtiment tout entier.

 

Une hospitalité sous influence

A quelle sorte d’hospitalité avons-nous affaire dans cette nouvelle ? Roderick, atteint d’une maladie nerveuse, écrit une lettre à son ami d’enfance. Il lui demande de venir séjourner auprès de lui en espérant qu’une compagnie agréable le soulagera un peu de son mal.

« L’écriture portait la trace d’une agitation nerveuse. L’auteur de cette lettre me parlait d’une maladie physique aiguë, – d’une affection morale qui l’oppressait, – et d’un ardent désir de me voir, comme étant son meilleur et véritablement son seul ami, – espérant trouver dans la joie de ma société quelque soulagement à son mal.[1] »

Par son offre d’hospitalité, Roderick espère profiter de l’influence bénéfique de la joie de vivre de son hôte. Mais l’influence fonctionne dans les deux sens et le narrateur va également se voir affecté au cours de son séjour.

« C’était néanmoins dans cet habitacle de mélancolie que je me proposais de séjourner pendant quelques semaines.[2] »

 

Architecture et atmosphère

Cette nouvelle fait partie des Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. D’emblée, l’auteur nous plonge dans une atmosphère étrange. La maison dégage une impression de tristesse dès le premier regard.

« Je ne sais comment cela se fit, – mais, au premier coup d’œil que je jetai sur le bâtiment, un sentiment d’insupportable tristesse pénétra mon âme.[3] »

Le narrateur tente de se raisonner sur sa première impression quant à la maison. Il cherche une cause rationnelle au sentiment de déréliction qui l’a saisi à la vue de la demeure de son ami. Serait-ce la vieillesse, visible, du bâtiment lui-même ? Ou la manière dont la maison se reflète dans le lac ? Ou encore la végétation trop luxuriante qui envahit la construction et colonise peu à peu la pierre ?

« Je fus forcé de me rejeter dans cette conclusion peu satisfaisante, qu’il existe des combinaisons d’objets naturels très simples qui ont la puissance de nous affecter de cette sorte, et que l’analyse de cette puissance gît dans des considérations où nous perdrions pied. Il était possible, pensais-je, qu’une simple différence dans l’arrangement des matériaux de la décoration, des détails du tableau, suffit pour modifier, pour annihiler peut-être cette puissance d’impression douloureuse (…).[4]»

Très vite, le lecteur apprend que l’atmosphère de mélancolie et de déréliction qui a tant affecté le narrateur dès son arrivée est précisément la cause de la maladie de son ami. Roderick présente en effet à son hôte sa théorie sur le mal qui le ronge.

« Il était dominé par certaines impressions superstitieuses relatives au manoir qu’il habitait, et d’où il n’avait osé sortir depuis plusieurs années, – relatives à une influence dont il traduisait la force supposée en des termes trop ténébreux pour être rapportés ici, – une influence que quelque particularités dans la forme même et dans la matière du manoir héréditaire avait, par l’usage de la souffrance, disait-il, imprimée sur son esprit, – un effet que le physique des murs gris, des tourelles et de l’étang noirâtre où se mirait tout le bâtiment, avait à la longue créé sur le moral de son existence.[5]»

Le narrateur tente bravement de résister à l’effet contaminant de la maison et de la compagnie de son hôte. Il cherche à soulager son ami par un entrain qu’il doit feindre de plus en plus. Récitation de poésie, musique, lectures choisies, le narrateur s’efforce par tous les moyens de distraire Roderick de son mal et de ses idées fixes. Dans un moment de crise paroxystique, il cherche à induire un choc dans la psyché de son ami.

« Mais c’était le seul livre que j’eusse immédiatement sous la main ; et je me berçais du vague espoir que l’agitation qui tourmentait l’hypocondriaque trouverait du soulagement (car l’histoire des maladies mentales est pleine d’anomalies de ce genre) dans l’exagération même des folies que j’allais lui lire. [6] »

Mais sa tentative est vaine. La réapparition puis la mort de Madeline va entraîner Roderick dans la mort. Craignant plus que jamais pour sa propre raison, le narrateur fuit la maison sur le champ, en pleine tempête. Arrivé sur la route, une étrange lueur le fait se retourner :

« Le rayonnement provenait de la pleine lune qui se couchait, rouge de sang, et maintenant brillait vivement à travers cette fissure à peine visible naguère, qui, comme je l’ai dit, parcourait en zigzag le bâtiment depuis le toit jusqu’à la base. Pendant que je regardais, cette fissure s’élargit rapidement ; – il survint une reprise de vent, un tourbillon furieux ; – le disque entier de la planète éclata tout à coup à ma vue. La tête me tourna quand je vis les puissantes murailles s’écrouler en deux. – Il se fit un bruit prolongé, un fracas tumultueux comme la voix de mille cataractes, – et l’étang profond et croupi placé à mes pieds se referma tristement et silencieusement sur les ruines de la Maison Usher.[7] »

 

Contamination

Que nous raconte cette histoire d’hospitalité ?

Le narrateur ressent très fort l’inhospitalité de la demeure. Pendant toute la durée de son séjour, il lutte contre un sentiment de tristesse grandissant qui ne lui appartient pas.

« Je sentais que je respirais une atmosphère de chagrin. Un air de mélancolie âpre, profonde, incurable, planait sur tout et pénétrait tout.[8] »

Et ce n’est pas seulement la maison qui le contamine par son atmosphère. Bientôt, la fréquentation de son ami Roderick semble avoir un pouvoir contaminant aussi.

« Il ne faut pas s’étonner que son état m’effrayât, – qu’il m’infectât même. Je sentais se glisser en moi, par une gradation lente mais sûre, l’étrange influence de ses superstitions fantastiques et contagieuses.[9] »

Alain Montandon, dans la critique qu’il fait de la nouvelle, souligne bien l’effet de l’architecture sur le moral des protagonistes.

« Cet effet physique de la maison sur le moral, la sensitivité du règne inorganique et sa muette influence en font une architecture magique à la foncière inhospitalité. [10] »

Il précise même que la maison a bien plus d’influence négative sur le moral du narrateur que la maladie de Roderick qui n’est lui-même qu’une victime de cette architecture tourmentée.

« Ce caractère peu amène est, chez Poe, contrebalancé par l’hospitalité finalement cordiale, bien que tourmentée, de Roderick Usher (…).[11]»

Avec La chute de la Maison Usher, Edgar Allan Poe nous rappelle que l’hospitalité n’est jamais neutre. Car les hôtes s’affectent d’une manière ou d’une autre, en bien ou en mal. Son écriture fantastique souligne également le pouvoir extraordinaire que les lieux ont sur leurs habitants. La nouvelle nous invite à bien réfléchir à la conception – à l’architecture aussi bien qu’aux atmosphères – des lieux destinés à l’accueil d’êtres en souffrance.

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Références

[1] Edgar Allan Poe, La chute de la maison Usher, in Tous les contes d’Edgar Poe, Marabout géant, Verviers, p.301.

[2] Op. cit. p.301.

[3] Op. cit. p.300.

[4] Op. cit. p.301.

[5] Op. cit. p.306.

[6] Op. cit. p.315.

[7] Op. cit. p.318.

[8] Op. cit. p.304.

[9] Op. cit. p.313.

[10] Alain Montandon, Désirs d’hospitalité. De Homère à Kafka., PUF Littératures européennes, Paris, 2002, p.164.

[11] Op. cit. p.164.