Identité 2.0 et extimité digitale

Identité 2.0 et extimité digitale

Auteur : Christophe Davenne, médiateur culturel et animateur au Centre Franco Basaglia

Résumé :  Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont donné naissance au web 2.0, caractérisé par une participation active de l’internaute. Les réseaux sociaux, comme Facebook, en sont les représentants les plus importants et font désormais partie du paysage numérique. Avec eux, la manière de se présenter se transforme en une exposition permanente de l’intimité, accessible à un tissu virtuel de contacts, laquelle se mue en extimité forgeant ainsi sa propre identité digitale.

Temps de lecture : 15 minutes

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L’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication a donné naissance au web 2.0, dont la caractéristique principale est la participation active de l’internaute, web 2.0 qui a lui même engendré de nombreuses plateformes relationnelles et d’échanges, également appelées réseaux sociaux. Facebook et Twitter en sont les représentants les plus célèbres car les plus utilisés : plus de 900 millions de personnes inscrites sur Facebook et plus de 500 millions de comptes Twitter, là où l’internet moderne compte 2,1 milliards d’utilisateurs réguliers.

Le principe de ces plateformes relationnelles est simple : l’utilisateur alimente un espace qui lui est personnel avec des informations concernant sa vie privée (état civil, adresse, opinions politiques et religieuses), son parcours (études, travail), ses états d’âme et autres humeurs (par le biais de statuts), le tout à grand renfort de photos, vidéos, messages postés en ligne. C’est donc une présentation de soi tant du point de vue physique que psychique dont il s’agit. Cet espace de dévoilement intime est visible par tout le réseau tissé avec les autres utilisateurs (ses « amis », selon la terminologie utilisée par Facebook) qu’il aura autorisé à avoir accès aux informations qu’il poste et auxquelles chacun pourra réagir, commenter, critiquer.

A l’inverse des salons de clavardage (« chat ») ou des forums dans lesquels il est toujours possible de se réfugier derrière un pseudonyme, les réseaux sociaux demandent à l’utilisateur de se dévoiler, de décliner sa véritable identité, d’exposer sa sphère privée et de la confronter à celles des autres (c’est le pacte latent de ces réseaux : « je me dévoile et je veux que tu fasses pareil afin que je puisse savoir qui tu es »).

Ces nouvelles modalités de présentation de soi démontent méthodiquement la notion de vie privée pour l’amener sur le terrain de la mise en scène de sa propre existence, par le biais de tout le matériel publié (photos, vidéos, textes). L’enquête « Sociogeek » (première enquête sociologique en ligne sur le web 2.0) a démontré qu’il existe désormais deux nouvelles formes d’exposition de soi[1] :

« En marge des deux modalités classiques que sont « l’exposition de soi traditionnelle » (photos de famille, de vacances, de mariage) et « l’impudeur corporelle » (nudité, intimité, vie amoureuse), l’enquête a fait apparaître deux nouveaux archétypes

« L’exhib’ » : qui correspond aux formes d’expression de soi selon lesquelles les personnes se mettent en scène dans divers contextes : en mangeant, décontracté au travail, en colère, dansant…

« Le trash » , qui correspond à des formes d’exposition de soi outrancières lorsque les participants exhibent des images « négatives » d’eux-mêmes (pleurs, maladie, disgrâces corporelles).

L’enquête montre que « l’exhib’ » constitue la principale nouvelle tendance des formes d’exposition de soi suscitées par le web 2.0. Elle témoigne d’un souci de plus en plus affirmé, notamment chez les jeunes, de construire son image en se montrant dans des poses décontractées, festives, théâtrales et expressives. Cependant, ce « relâchement » reste très contrôlé. »

Ces différentes manières de se présenter relèvent d’une volonté parfaitement subjective de susciter l’attention de son tissu « socio-virtuel », de l’autre côté de l’écran, de lui plaire, de le faire réagir. Le regard d’autrui, la dépendance qu’il peut engendrer et – parfois – un manque d’estime de soi constituent autant de moteurs servant à façonner et affirmer sa singularité sur les réseaux sociaux. Ceux-ci, de par les interactions infinies qu’ils proposent, en arrivent à créer un besoin chronique d’exposition de soi afin de continuer à exister au-delà du quotidien, de vivre plus haut que la réalité et surtout de sans cesse continuer à étendre son tissu social virtuel. Or, ce dernier ne pourra continuer à se développer et à s’agrandir qu’à une seule condition : continuer à exposer plus fortement son identité, à « sublimer son moi », par un nombre de moyens en perpétuelle évolution mis à disposition. La sphère de l’intimité tend à disparaître et cède peu à peu sa place à celle de l’extimité. Pourtant l’une ne peut exister sans l’autre.

 

De l’extimité à la surexposition

Proposé en 1969 par Jacques Lacan, le concept d’extimité n’a réellement trouvé sa définition en 2001 que sous l’impulsion du psychiatre Serge Tisseron qui la définit comme « le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Ce mouvement est longtemps passé inaperçu bien qu’il soit essentiel à l’être humain. Il consiste dans le désir de communiquer sur son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s’il ne s’agissait que “d’exprimer”. Si les gens veulent extérioriser certains éléments de leur vie, c’est pour mieux se les approprier en les intériorisant sur un autre mode grâce aux échanges qu’ils suscitent avec leurs proches. L’expression du soi intime – que nous avons désignée sous le nom “d’extimité” – entre ainsi au service de la création d’une intimité plus riche. »[2]

L’extimité, par opposition à l’intimité, est donc le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque là considérés comme relevant de l’intimité. Il est constitutif de la personne humaine et nécessaire à son développement psychique (notamment à une bonne image de soi), grâce aux échanges que cette exposition engendre. En cela, l’extimité doit vraiment être distinguée de l’exhibitionnisme qui est pathologique et répétitif[3].

En multipliant les moyens d’exister dans le cadre de plateformes relationnelles, cette exposition constante et chronique emmène l’individu sur la voie d’une forme de surexposition présentant un véritable risque : celui d’une perte totale du contrôle de sa propre identité virtuelle (définie par l’ensemble des publications affiliées et laissées au jugement et à l’usage de tous). Il ne va pas sans dire que les conséquences de cette surexposition virtuelle sont, elles, bien réelles.

En mars 2011, l’A.P.P. (American Academy of Pediatrics) a publié une étude[4] soulignant que l’usage des médias sociaux pourrait avoir des effets négatifs sur la santé, parmi lesquels on signale un nouveau phénomène : la «dépression Facebook». Cette nouvelle forme de souffrance mentale toucherait principalement les adolescents et serait intimement liée à un usage intensif du plus important des réseaux sociaux, isolant socialement la personne, la mettant sans cesse en comparaison avec ses « amis Facebook » et déclenchant les symptômes classique de la dépression : fatigue, ralentissement généralisé, dévalorisation, tristesse… Si les adultes semblent peut-être moins touchés par la « dépression Facebook », ils n’y sont pas potentiellement moins exposés, Facebook occupant les internautes en moyenne 5,7 heures mensuelles[5].

 

Apprivoiser les réseaux sociaux

Les différents médias sociaux font désormais partie intégrante de notre paysage culturel et leur présence sort désormais du cadre de l’internet pour se développer sur les smartphones (téléphones « intelligents » constamment connectés), tablettes tactiles et dans un futur proche les télévisions « intelligentes » (smart-tv, constamment connectées elles aussi). Pour autant, il s’agit de les aborder avec prudence et d’en bien comprendre les mécaniques d’utilisation (complexes car peu intuitives mais qui permettent une gestion quasi-totale de tout ce que l’on souhaite publier) afin de ne pas être rapidement dépassé par ces nouvelles formes de présentation de soi.

Les conséquences potentielles que le fait de se dévoiler en ligne peuvent avoir sur sa propre identité et sur l’image qui sera projetée à son tissu virtuel ne sont pas à négliger. Le feedback du réseau social viendra indubitablement alimenter l’estime de soi, laquelle, nourrie des subjectivités de chacun, peut facilement être ébranlée.

Dès lors, pouvoir à tout moment se réapproprier sa propre intimité (sur)exposée, cerner son rapport à sa propre exposition, sont des concepts sur lesquels chaque acteur des réseaux sociaux pourrait se pencher avant de se connecter.. et pourquoi pas en discuter avec ses « amis facebook ».

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Références

[1]    L’enquête et ses résultats sont accessibles sur le site www.sociogeek.com.

[2]    Serge Tisseron, L’intimité surexposée, Paris, Ramsay, 2001,(rééd Hachette,2003).

[3]    Source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Extimit%C3%A9

[4]    http://pediatrics.aappublications.org/content/early/2011/03/28/peds.2011-0054

[5]    Source : http://www.comscore.com/Press_Events/Press_Releases/2011/12/Social_Networking_Leads_as_Top_Online_Activity_Globally