« Intégration », un terme à double sens ?

intégration

Auteur : Marie Absil, Philosophe, animatrice au Centre Franco Basaglia

Résumé :  « Intégration », « insertion » et « inclusion » sont des mots qui fleurissent dans les discours politiques et sociaux. Quelles histoires nous raconte ce vocabulaire précis ? Quelle société veut-il construire ? Dans cette première analyse, nous examinons comment la définition du mot « intégration » et des politiques qu’elle désigne, signe à l’origine d’une volonté d’homogénéisation par assimilation, s’assouplit pour devenir progressivement une volonté d’harmonisation de la société.

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« Une langue minoritaire est une langue capable de miner la langue dominante, de la mettre en variation.[1] »

Tout un discours s’élabore aujourd’hui sur les personnes qui se retrouvent, pour une raison ou une autre, en dehors du système : chômeurs, malades, handicapés, délinquants, immigrants, femmes, jeunes… Ces « exclus » seraient à « inclure » dans la société. On élabore des politiques « d’intégration », on crée des institutions destinées à faciliter « l’insertion » sociale ou professionnelle de cette population. Dans une série de trois analyses, nous nous intéresserons à ce que ces discours nous racontent sur la réalité sociale d’aujourd’hui.

Un discours est un « ensemble d’énoncés liés entre eux par une logique spécifique et consistante, faite de règles et de lois qui n’appartiennent pas nécessairement à un langage naturel, et qui apportent des informations sur des objets matériels ou idéels [2]». Le vocabulaire utilisé pour décrire le monde social n’est donc pas anodin[3] puisqu’il procède d’une logique spécifique. En effet, selon Michel Foucault, « Le discours, les mots et les idées ne sont pas seulement une surface d’inscription pour le rapport de force, mais ce sont eux-mêmes des forces, ce sont des opérateurs (…) [4]». C’est pourquoi nous interrogerons les mots-clés de ces discours.

« Intégration », « insertion » et « inclusion » sont des mots qui fleurissent dans les textes réglementaires – lois, décrets, conventions, contrat de gestion- comme dans les discours destinés à décrire ou à solutionner certains problèmes sociaux. Quelles histoires nous raconte ce vocabulaire précis ? Quel monde nous décrit-il ? Quelle société veut-il construire ?

 

Etymologie et définitions

Nous commencerons cette série d’analyses par examiner le mot « intégration ». En effet, des trois termes envisagés et aujourd’hui utilisé parfois comme synonymes – « Intégration », « insertion » et « inclusion » – « intégration » est le premier à avoir été utilisé dans le discours politique et social.

Intégration vient du latin integrare qui veut dire renouveler, rendre entier. Dans le Larousse[5] « intégration » est défini comme suit : « action d’intégrer; fait pour quelqu’un, un groupe, de s’intégrer à, dans quelque chose ». Intégrer c’est « placer quelque chose dans un ensemble de telle sorte qu’il semble lui appartenir, qu’il soit en harmonie avec les autres éléments ». Enfin, quand on parle de personnes, intégrer c’est faire que « quelqu’un, un groupe ne soit plus étranger à une collectivité, qu’il s’y assimile ».

L’intégration sociale est le « rapport entre les systèmes sociaux ou le processus ethnologique durant lequel une personne initialement étrangère ou jugée comme telle devient membre (s’intègre) dans une communauté ». Cette intégration peut-être de deux ordres : l’intégration culturelle qui « suppose que les individus participent à la vie commune comme, parlent la langue nationale… s’ils ne conservent pas des traditions propres et si la société nationale n’intègre pas elle-même des éléments culturels des immigrés, cette intégration culturelle s’approche de la notion d’assimilation » et l’intégration économique qui suppose que les individus « occupent un travail stable qui leur procure un revenu permettant des conditions de vie décentes[6] ».

Quel que soit le domaine envisagé, le terme « intégration » renvoie à l’idée de changement, d’adaptation de quelque chose ou de quelqu’un de différent afin de faire partie d’un tout unique. A l’origine, le sens donné au mot intégration, est proche de la notion d’assimilation. En effet,  le changement est entièrement à charge de celui qui doit s’intégrer, l’idéal étant de parvenir à une société complétement homogène. Une définition plus tardive introduit plus de souplesse et de réciprocité au niveau des exigences de l’intégration. Plutôt qu’une volonté d’homogénéisation, il s’agit plutôt de mettre des différences en harmonie. Ainsi entendue, l’intégration suppose le changement conjoint des deux parties pour une intégration réussie. Par exemple, l’immigré doit montrer une volonté d’intégration et entamer une démarche individuelle pour s’intégrer dans son pays d’accueil tandis que celui-ci doit faire montre d’une certaine capacité intégratrice par le respect des différences et des particularités des individus que la société accueille.

“L’intégration consiste à susciter la participation active à la société tout entière de l’ensemble des femmes et des hommes appelés à vivre durablement sur notre sol en acceptant sans arrière-pensée que subsistent des spécificités notamment culturelles, mais en mettant l’accent sur les ressemblances et les convergences dans l’égalité des droits et des devoirs, afin d’assurer la cohésion de notre tissu social.”[7]

 

Contexte et discours socio-politique

Dans le discours politique, le terme « intégration » renvoie à la recherche des grands équilibres par des actions et des directives générales. Ce sont les grandes politiques, menées à partir des années d’après-guerre et pendant les « trente glorieuses », qui visaient une homogénéisation de la société : généralisation du salariat, régulation et harmonisation des types de contrats de travail (CDI), intégration de populations issues de l’immigration…

Le discours sur l’intégration socio-professionnelle date de l’époque du quasi plein-emploi. Les chômeurs d’alors étaient supposés pouvoir facilement retrouver un travail. Les politiques d’intégration s’adressaient dès lors soit aux immigrés qui devaient surmonter leurs différences culturelles (par l’apprentissage de la langue par exemple) avant de pouvoir prétendre à un emploi, soit à des personnes éloignées volontairement du monde du travail par l’adoption de valeurs et de styles de vie marginaux, alternatifs. Ces personnes étaient considérées comme étant à éduquer afin de leur faire adopter les valeurs et les comportements dominants.

A l’origine, le terme « intégration » a donc été utilisé dans des contextes politique et socioprofessionnel, surtout à propos des questions d’immigration. Très rapidement cependant, son utilisation s’est répandue dans d’autres discours relatifs à d’autres champs comme celui la santé.

 

Champ de la santé

Le terme « intégration » se retrouve dans le  discours de la santé. Pour ce qui est des personnes handicapées par exemple, il existe un organisme spécialement dédié à leur intégration, l’AWIPH ou Agence Wallonne pour l’Intégration des Personnes Handicapées. Ses missions sont très diverses : aide à l’emploi et à la formation, intervention financières dans l’acquisition ou l’équipement de matériel spécifique qui favorise l’autonomie au quotidien mais aussi agrément et subventionnement de services qui accueillent, hébergent, emploient, forment, conseillent et accompagnent les personnes handicapées[8].

L’intégration des personnes handicapées consiste à élaborer les conditions nécessaires pour que ceux-ci puissent investir des lieux de vie ordinaires. Par exemple, réaliser des aménagements en termes d’accessibilité et/ou d’accompagnement et de soutien pour qu’un enfant handicapé puisse être scolarisé dans une école ordinaire (par opposition à l’enseignement spécial) ou encore qu’un adulte handicapé puisse intégrer le monde du travail ordinaire (par opposition aux entreprises de travail adapté).

Le travail d’intégration suppose donc à la fois une adaptation du monde ordinaire qui permette l’accueil de personnes handicapées et un effort d’adaptation des personnes handicapées au monde ordinaire (formation, réadaptation fonctionnelle, etc.).

 

Conclusion

Dans les discours politique et sociaux, l’utilisation du mot « intégration » révèle à l’origine une volonté d’unité et d’homogénéisation de la société. Pour atteindre cet objectif, des processus de transformation et d’adaptation sont mis en place. Pour les individus à intégrer,  on élabore des procédures d’éducation, de réadaptation, d’accompagnement…mais aussi de coercition pour les délinquants, afin de leur faire adopter des valeurs et des comportements conformes aux normes dominantes. Mais pour que l’intégration soit réussie, il est aujourd’hui reconnu comme indispensable que la société montre également des vertus intégratrices comme le respect de la diversité et des différences, la non-discrimination, l’aménagement de conditions qui permettent réellement à tous de participer à la vie et à la cohésion sociale.

Cependant, certaines évolutions sociales et économiques de ces dernières décennies ont mis à mal le discours et les politiques d’intégration. C’est pourquoi un nouveau vocabulaire a fleuri pour rendre compte de ces transformations. Si le mot « intégration » n’a pas disparu des discours, il se voit désormais de plus en plus souvent supplanté par les termes « insertion » et « inclusion ».

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Références

[1] Pour la citation, voir Marie-Dominique Garnier, RêVolt(e)s : Du Genre au Jenre, sur http://genre.hypotheses.org/132

[2] Pour la définition de « discours », voir http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/discours/25859

[3] Voir à ce sujet la série d’articles de 2013 dans la thématique « Savoirs en controverse »

[4] FOUCAULT M., « Le discours ne doit pas être pris comme … », Dits et écrits 1954-1988. Tome III, Paris, Éditions Gallimard, p. 123-124. Et FOUCAULT M., L’ordre du discours, Paris, Éditions Gallimard, 1971.

[5] Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/int%C3%A9gration/43533

[6] Wikipédia : Intégration (sociologie)

[7] Voir L’intégration à la française, Rapport du Haut Comité à l’Intégration, 1993, cité sur Toupie.org

[8] Voir le site internet de l’AWIPH