La reconquête, vivre avec ça

La reconquête, vivre avec ça

Auteur : Eric Michaël, politologue

Résumé : Être bipolaire et se penser comme un être à part entière et non pas uniquement comme sa maladie fut une étape importante. Dans cet article j’examine les effets positifs et négatifs de la maladie. Comme effets positifs je mets en exergue le fait que je suis plus sensible et j’acte que les idées que j’ai eues en manie même si elles doivent être travaillées ne sont pas fausses. Comme effets négatifs, il faut prendre des médicaments à vie, faire des prises de sang et il y a des conséquences à moyen terme sur les reins, il y a également du psoriasis. Toutefois cette malade m’a paradoxalement apporté quelque chose : l’espoir …

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Bipolaire les plus et les moins …

Après avoir été diagnostiqué bipolaire et avoir fait une manie (voir Un bonheur intense) et une dépression (voir Le fond des ténèbres), il a fallu apprendre à vivre avec cette maladie que je ne connaissais pas du tout. Face aux stéréotypes, aux préjugés, à la discrimination et à la stigmatisation dont j’ai été victime à l’écurie, j’ai dû me reconstruire. Dans cet article nous faisons le bilan de ces 5 dernières années et nous nous demandons qu’est-ce que la maladie nous a apporté de façon positive et de façon négative ?

Afin de se reconstruire, j’ai d’abord continué à monter à cheval. Monter son cheval jour après jour et l’améliorer dans l’optique de faire des concours fut pour moi une réelle motivation et source de bien-être peu à peu retrouvée.

Il serait intéressant de faire une étude à ce sujet : qu’est-ce que le cheval, cet être émotif et sensible, peut apporter de positif à une personne souffrant d’un trouble bipolaire ?

Tout d’abord mes chevaux m’ont très vite obligé à me confronter à la réalité. Par exemple lorsque j’étais en manie, je n’étais pas très attentif et mon plus vieux cheval (une jument que je connaissais depuis qu’elle est née) me marcha sur le pied. J’atterris dans la réalité !

De surcroît les médicaments commençaient à agir. Je prenais du lithium et un autre régulateur d’humeur, le sycrest. J’étais également sous antidépresseurs pour combattre la dépression. Le tout savamment dosé par ma psychiatre selon mes résultats sanguins et mon état. Certes, tout ne fut pas un long fleuve tranquille. J’ai encore eu des épisodes de petite manie, qu’on appelle hypomanie. J’avais des envolées lyriques, surtout politiques, et puis je me calmais. Mais, peu à peu, je suis devenu équilibré. C’est-à-dire que je n’avais plus d’épisodes de manie ou de dépression. Je suis équilibré depuis trois ou quatre ans. Peu à peu mon corps s’est habitué aux médicaments. Je peux dire maintenant que j’ai récupéré toutes mes capacités. Je monte bien à cheval, je skie bien, je joue bien au badminton.

Mieux que ça, je suis devenu un être beaucoup plus sensible et cela se transmet dans mes cours d’équitation. C’est là un atout positif de ce que la maladie m’a apporté.

Sur le plan professionnel, la situation a favorablement joué en ma faveur. Tout ce que j’avais perdu en manie, je l’ai récupéré : depuis un an, je suis devenu le gérant de l’écurie, je donne des cours d’équitation et monte des chevaux.

La gérance pour moi est vraiment quelque chose d’important. Je voulais l’avoir et je l’ai perdue parce que j’étais malade. Bien qu’il faut encore améliorer beaucoup de choses, la situation à l’écurie est satisfaisante. J’ai retrouvé mes pleines capacités. Je fais des concours et j’ai des résultats prometteurs.

Par ailleurs, la reconquête est aussi une réussite sur le plan personnel puisque je me suis marié. Et depuis 6 mois, je suis devenu papa.

Il reste beaucoup à faire cependant. Je remercie la manie et cette maladie car elles ont fait de moi un homme plus mûr et réfléchi. De surcroît, je ne rejette pas en totalité les idées que j’ai eues en manie. Je pense que c’était de bonnes idées même si elles doivent être travaillées, décortiquées, analysées.  Un collègue de ma psychiatre spécialiste des bipolaires lui a dit qu’un bipolaire à des accélérations de ses idées, de ses concepts mais que ce n’est pas pour autant que ceux-ci soient faux ou irrationnels.

Pour ma part, je suis ainsi convaincu que nos sociétés doivent se repenser, se réinventer. La menace terroriste n’est pas la seule menace qui plane sur l’humanité. La menace du réchauffement climatique est une menace tout aussi importante. Après 5 ans de ma maladie, je suis convaincu que les idées que j’ai eues en manie sont possibles. Lorsque je dis qu’un savoir théorique n’est rien sans un savoir empirique, il est évident que la proposition peut être vraie tant il s’agit d’une phrase générale, tout dans la vie est théorie et pratique, empirie. Dans mon esprit l’empirie est le corps. Ce sont les expériences de la vie qui certes se nourrissent parfois de théorie mais où l’essentiel est dans le vécu, dans l’expérience, dans l’expérimentation des sens. Dans mon esprit l’empirie est mon savoir équestre, ce qu’on m’a inculqué et appris pendant des heures et des heures de cours d’équitations. La théorie est, elle, par contre ce que j’ai appris lors de mes études universitaires, plus spécialement Marx, Hegel, Keynes mais aussi Thomas More, les constructivistes avec Alexender Wendt. Dans la théorie il y a aussi les idéalistes, je crois sincèrement à la force des idées, des concepts pour faire changer les choses.

Et voilà comment concilier empirie et théorie, comment en faire un fil conducteur satisfaisant ? L’idée serait de faire un ouvrage scientifique sur ces sujets. Plus précisément il aurait pour titre : la révolution copernicienne des relations internationales, vers un monde post-capitaliste ? L’idée dans ce livre est de démontrer que l’occident est en déclin : déclin économique, déclin sur la scène internationale en Syrie, Irak, Afghanistan, déclin car elle ne répond pas aux défis climatiques. Face à ces trois déclins, il convient de se réinventer, de penser et de songer à un autre monde, un monde plus juste, plus solidaire, plus égalitaire, plus respectueux de l’environnement et des choses qui nous entourent. C’est là qu’on fait le lien avec l’empirie : le cheval comme moyen de repenser nos sociétés individualisées et matérialistes. Il n’est pas impossible de faire de la politique à travers le cheval, le sport en politique a toujours existé, comme on l’avait démontré dans un travail universitaire où l’équipe de ping-pong américaine est utilisée sous Nixon pour améliorer les relations sino-américaines[1]. Ici, il s’agirait de montrer en quoi l’équitation peut devenir une réelle politique publique visant à améliorer la façon dont les humains perçoivent la nature.

Bien sûr tout ceci n’est qu’une ébauche, et les théories et concepts doivent être travaillés.

Au-delà des idées générales et macro-économiques, il convient d’abord de développer ces idées au niveau micro. C’est pour cela qu’il faut développer l’écurie et essayer d’en faire une écurie zéro émission de CO22. Par ailleurs, il est intéressant de constater que dans le domaine de la justice sociale, certains étudient le bonheur. Chez les utilitaristes, par exemple, le bonheur est au centre de leurs réflexions : « […]  une société est d’autant plus juste qu’elle maximise le bonheur du plus grand nombre de personnes […] »[2]. Cette conception est issue de Jeremy Bentham (1748-1832), pour lui, « […] une société sera juste quand pour l’ensemble des individus la balance entre les plaisirs et les douleurs penchera en faveur du bonheur »[3]. Ainsi, ils choisissent l’action qui apportera le plus de bonheur collectif.

Ceux qui critiquent les utilitaristes estiment qu’ils oublient d’autres valeurs de la société telles que la liberté, la fraternité, l’environnement. En ce qui nous concerne, nous ne connaissions pas les utilitaristes et leurs théories sur le bonheur lorsque j’étais en manie. Il est intéressant de remarquer que des courants de pensées réfléchissent à ces sujets. Comme je l’ai dit, il convient de retravailler sur ces problématiques afin de voir ce qui est possible et praticable dans la vie de tous les jours.

Par ailleurs, la reconquête est aussi passée par le fait que j’ai eu un comportement au fil de ces quatre années on ne peut plus normal ! J’ai arrêté de crier sur les gens, j’ai toujours été gentil avec tout le monde, on m’a donc considéré peu à peu comme normal et de moins en moins comme fou, je suis rentré dans le rang.

Les rumeurs et stéréotypes sont partis étant donné que les personnes qui les véhiculaient ont quitté l’écurie lorsque j’ai repris la gérance. Mon business peut donc se développer de façon sereine.

En outre, je dois mon état équilibré essentiellement au fait que les médicaments, le lithium et le sycrest fonctionnent. Pour moi prendre ses médicaments n’est pas une contrainte ni une corvée, je le vois comme un moyen de me sentir bien. Certains bipolaires regrettent leurs phases maniaques et refusent de prendre les médicaments pour revivre une phase maniaque. Pour moi me concernant, j’ai des joies de vie suffisantes dans ma vie actuelle, que je n’ai pas besoin d’être en manie, je suis heureux de voir ma fille grandir, de passer du temps avec ma femme, de voir mes élèves évoluer et être contents lors de leçons d’équitation, je suis heureux de progresser en concours. Surtout le prix de la manie, la dépression, est tellement fort que je préfère ne plus jamais revivre de manie. Il est intéressant de constater comment mes émotions évoluent au fil du temps. Je ressens, par exemple, plus d’émotions ces derniers mois lorsque j’écoute de la musique. Je me sens presque comme avant ma maladie, fort, serein, heureux mais pas trop quand même. Comme éléments négatifs de la maladie, il y a que le traitement que je prends peut-être nocif pour les reins, j’ai du psoriasis, et je dois prendre des médicaments à vie. C’est contraignant mais le positif est là : plus sensible aux gens et à leurs problèmes, et puis surtout les idées que j’ai eues en manie si elles sont vraies, méritent que je travaille dessus, j’ai la conviction profonde qu’on peut changer les choses à condition de beaucoup travailler, de croire en soi, de croire aux autres. Si une chose que la maladie m’a redonnée, c’est l’espoir ! Espoir d’un monde meilleur, espoirs d’une société plus juste. Pour l’instant je dois d’abord me consacrer à mon écurie, et mon livre si j’ai le temps sera écrit !

Mais la société bouge, easy jet se donne 10 ans pour construire son premier avion électrique, une étude de Nature Science évalue la fin de l’humanité à la fin de ce siècle. Pire, des scientifiques prédisent que si rien ne change drastiquement dans les 20 prochaines années[4], alors l’humanité court à sa perte ! C’est cela ma contrainte, ma peur, mon angoisse développer ses idées, écrire ce livre avant qu’il ne soit trop tard, faire changer les lignes avant qu’il ne soit trop tard. Un autre ouvrage prédit la fin du capitalisme pour 2040[5]. Il faut donc que je développe mes idées au niveau micro à travers l’écurie et mes idées métathéoriques à travers le livre dans les 10 ans qui viennent. Il sera même trop tard, je ferai de mon mieux pour tout faire au plus vite, mais une chose est sûre je ne suis pas décideur politique et ce n’est pas de ma responsabilité si tout se sait mais rien ne se fait, …C’est peut être ça le paradoxe, l’urgence climatique nous pousse à devoir changer vite et mieux mais l’humain pour qu’il change nécessite temps et pédagogie, … Toutefois l’espoir existe, je ferai de mon mieux pour développer mes idées et je ne sais si elles changeront quelque chose au destin de l’humanité mais elles auront au moins le mérite d’exister.

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Références

[1]     Nagels Laurent., « La diplomatie du ping-pong », séminaire sport et politique de Jean-Michel De Waele, 2005 ;

[2]     Voir CROUFER Olivier (2014). Les Utilitaristes : une société juste est une société heureuse. Centre Franco Basaglia.

[3]     Idem.

[4]     Vu dans le film Demain, diffusé sur la rtbf le 4 septembre 2017.

[5]     WALLERSTEIN, I., et alii, Le capitalisme a-t-il un avenir ?, La découverte, Paris, mai 2016.