Participation, citoyenneté et existence

Participation, citoyenneté et existence

Auteur : Marie Absil, Philosophe, animatrice au Centre Franco Basaglia

Résumé :  La participation des usagers à l’élaboration des politiques qui les concernent est un sujet d’actualité. Ce terme de « participation » est présent dans le discours d’une multiplicité d’acteurs, or il n’est jamais définit précisément. Cette analyse montre que l’absence de définition claire recouvre une polysémie de sens. En effet, la participation peut être définie et revendiquée en termes de droit mais également de besoins.

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La Belgique, contrairement à d’autres pays comme la Grande-Bretagne, n’a pas de réelle tradition de participation directe des usagers lors de l’élaboration des politiques qui les concernent. En effet, le modèle historique de concertation belge repose sur des organismes de représentation (F.E.B., syndicats, mutuelles) qui portent leur voix dans les négociations.

Plusieurs lois ont été votées ces dernières années, à tous les niveaux de pouvoir (fédéral, régional, communautaire), pour permettre et favoriser la participation directe des usagers. Dans plusieurs domaines (consommation, mobilité, santé…), la participation est maintenant une réalité en Belgique. Des associations d’usagers ont vu le jour et certaines d’entre-elles sont subsidiées par les pouvoirs publics. Mais quelle réalité se cache derrière le mot de participation ? Quel sens prend-t-elle pour ses acteurs?

Il est intéressant de nous interroger sur ces questions. En effet, selon un rapport de la Fondation Roi Baudoin sur la participation :

« La définition de la participation est une construction sociale fortement influencée par la position des acteurs concernés et la signification qu’ils confèrent au concept. Or, la définition a un impact important sur la manière de concrétiser la participation dans la pratique.[1] »

Pour réaliser cette analyse, nous avons rencontré une associations d’usagers en santé mentale, Psytoyens[2]. En effet, les usagers du secteur de la santé mentale ont une vision toute particulière de la participation.

“En tant qu’usagers, ce que nous espérons est essentiellement une possibilité de faire entendre la voix des usagers à propos des questions qui nous touchent et nous concernent en premier chef: les questions de santé et de soins. Nous entamons cette démarche avec l’idée forte qu’il est nécessaire que  les usagers de soins participent au débat sur les questions de santé mentale. Il s’agit de démocratie et simplement de permettre à chacun de voir son existence reconnue.[3]

Pour beaucoup d’usagers en psychiatrie, le statut de malade est souvent la seule identité dont ils peuvent se prévaloir. En effet, de nos jours, le statut professionnel est souvent synonyme d’identité. En tout cas, c’est ce statut qui sert de « carte de visite » aux gens et qui leur permet de se situer les uns par rapport aux autres et de prendre leur place dans la société. Cette identité de malade est donc très importante, voire vitale aux yeux des personnes concernées. Les professionnels du secteur de la santé parlent souvent de stigmatisation à propos de cette étiquette de « malade » et cette stigmatisation est réelle si l’on pense que cette étiquette ne peux que mener à l’exclusion, ce qui malheureusement est encore trop souvent le cas.

Cependant, la parole des usagers en santé mentale peut les mener vers une actualisation positive de cette identité de malade. Comment ? Par la participation. En effet, c’est justement à partir de cette identité et par l’expertise de vécu qu’elle confère que ces personnes peuvent reprendre une place plus active dans la société en participant à l’élaboration des politiques (de santé, sociales, culturelles…) qui les concernent.

La participation semble donc revêtir ici une dimension existentielle. Dans cette analyse, nous allons essayer de déterminer quelles sont les conséquences de cette vision particulière sur la signification et l’organisation de leur participation.

 

Dimension existentielle de la participation

Nous venons de voir que la participation est perçue par les usagers en santé mentale comme un moyen de voir leur existence reconnue. Or, l’une des grandes difficultés de la participation est la  mobilisation durable des usagers. Pourquoi?

« Cela est dû aux particularités de la participation du public “santé mentale”. Souvent victimes de stigmatisation et de précarisation, les usagers en santé mentale ont souvent plus de difficultés à élaborer un discours, une parole sur ce qu’ils vivent que d’autres catégories de la population. De plus, cette parole est trop souvent décrédibilisée par les professionnels de la santé, habitués à parler en leur nom. Aujourd’hui, on demande aux usagers de participer alors qu’ils ont depuis toujours intégré  le non droit à la parole, la soumission au corps médical et donc une certaine forme de passivité.  La participation et la difficulté à participer prennent ici tout leur sens. [4]»

La conception particulière de la participation comme vecteur de reconnaissance existentielle à des conséquences sur la manière de définir cette participation. Contrairement à d’autres groupes d’usagers, comme les consommateurs par exemple, nous allons voir, qu’ici, la participation n’est pas définie en termes de droit (défense des droits des consommateurs par exemple) mais plutôt en termes de besoins.

« La question de la participation a été débattue en groupe à Psytoyens. Au terme de ce débat,  les participants se sont aperçus qu’une réponse adéquate et une attention particulière portées aux besoins des usagers favoriseraient leur participation  de façon pérenne. »

Les facilitateurs de participation évoqués par les membres de Psytoyens correspondent à la pyramide des besoins de Maslow[5]. Examinons maintenant quel sont ces besoins.

Besoins physiologiques. Une attention particulière aux besoins physiologiques de base des usagers pourraient apparemment rendre la participation plus confortable pour eux.

« Une attention particulière pourrait être portée au confort physiologique des usagers : des pauses, une collation, un café, un sandwich, un confort dans les déplacements,… tout simplement un bon accueil.[6] »

Au premier abord, ce besoin semble couler de source et on ne voit pas bien pourquoi il est nécessaire de le mentionner. Mais si nous nous replaçons dans notre contexte qui est d’intégrer des personnes fragilisées dans des processus de participation, nous pouvons comprendre que les normes de confort pour une personne dite « normale » peuvent être insuffisantes pour des personnes qui ont des difficultés particulières. Il ne nous semble pas étonnant de prévoir des rampes d’accès pour les personnes en chaises roulantes par exemple. Ici, c’est le même principe, même si ces besoins sont peut-être moins directement visibles et évidents.

Besoin de sécurité.

« Les usagers ressentent le besoin de se sentir compris, entendu, d’avoir le droit et la liberté de s’exprimer et savoir que cette parole ne sera pas déformée et sera entendue. Car la participation est une chance et a des avantages mais comporte aussi des risques. Par exemple pour un usager de la santé mentale, une mauvaise ambiance lors d’une réunion  est déjà insécurisante. Psytoyens est là pour essayer de garantir ce besoin de sécurité.[7] »

Ce besoin de sécurité rejoint le problème de la mobilisation des usagers que nous évoquions plus haut. Ici, un réel respect des différences de chacun pourrait dynamiser les discussions en assurant le besoin de sécurité de tous.

Besoin de reconnaissance. Le besoin de reconnaissance des usagers est présent à plusieurs niveaux. Tout d’abord, une meilleure reconnaissance des spécificités de la maladie mentale et des difficultés particulières que ces troubles entraînent (comme la difficulté de certains à comprendre ou à se faire comprendre). Ensuite, les usagers éprouvent un besoin de reconnaissance de la qualité d’expertise de leur parole sur leur vécu. Comme nous pouvons le voir, ce besoin de reconnaissance se situe également à un niveau que l’on peut qualifier d’existentiel.

Besoin d’appartenance. Pour bien représenter la parole des usagers en général il faut sentir que l’on appartient à un groupe, à un ensemble. Il faut pouvoir revenir à ce groupe pour échanger, partager, être soutenu, être compris.

« Psytoyens essaie également autant que possible d’assurer ce besoin. Être présent c’est déjà beaucoup.»

Est-il utile de préciser encore que le besoin d’appartenance est à la base du sentiment d’identité ?

Besoin de réalisation. Être citoyen, c’est se sentir utile, participer à changer les choses, se battre pour un idéal personnel mais aussi commun, collectif,…

Pour illustrer ce besoin, et conclure cet article, revenons aux attentes énoncées par les usagers :

redonner un sens à sa vie, ne plus avoir peur d’exister, augmenter l’estime de soi, la confiance en soi, se renforcer, prouver aux autres que l’on peut s’en sortir, avoir à nouveau un objectif, avoir une place pour revendiquer, se sentir utile.[8]

Il est donc primordial pour les usagers de se réapproprier une place de citoyen mais surtout d’être reconnus comme tels.

Légiférer pour permettre la participation de tous est un premier pas vers plus de démocratie. Mais le tout n’est pas de donner la parole aux gens, il faut encore reconnaître le sens qu’ils confèrent à leur parole et lui donner les moyens d’émerger. Dans le cas des usagers en psychiatrie, le processus discursif en lui même devient un enjeux de la participation. Cela réoriente le sens que l’on donne à la participation qui, de processus démocratique, devient ici un enjeux existentiel.

Cet enjeux existentiel sera rencontré, d’après la parole des usagers, à la condition que les modalités d’organisation de la participation prennent en compte, non pas seulement leurs droits, mais aussi certains de leurs besoins. En effet, la reconnaissance des besoins spécifiques d’une personne, ou d’un groupe particulier, est le fondement de la reconnaissance de l’identité de cette personne ou de ce groupe. C’est ce que nous appellerons ici la « reconnaissance existentielle ».

 

Conclusion

L’appréhension de la participation à partir de besoins plutôt qu’en termes de droit ouvre des perspectives et des problèmes particuliers. En effet, le discours des usagers de Psytoyens semble montrer que la reconnaissance est un vecteur prépondérant de leur demande. Dès lors, les uns et les autres ne parlent pas forcément de la même chose quand ils évoquent la participation. En effet, la participation à l’élaboration des politiques de santé offre un pouvoir consultatif, au mieux un pouvoir décisionnel mais n’implique pas la reconnaissance existentielle tant attendue. Cette polysémie quant au sens que les uns et les autres donnent à la participation est problématique et demande à être clarifiée.

Dès lors, la participation en tant que telle et la reconnaissance existentielle souhaitée par certaines catégories d’usagers gagneraient à être plus clairement définies et à être rencontrées séparément. Un travail d’étayage, prenant en charge la reconnaissance existentielle des usagers par les groupes de parole et l’accompagnement à la participation, est déjà entrepris par les associations de groupements d’usagers comme Psytoyens. De leur côté, les organismes de représentation et de défense institués pourraient contribuer à rencontrer un minimum ce besoin de reconnaissance par une plus grande attention à la parole qui s’exprime et aux conditions d’organisation matérielles des concertations.

Le site web de Psytoyens : www.psytoyens.be

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Références

[1]    La participation des patients dans la politique des soins de santé. Revue de la littérature et aperçu des initiatives internationales et belges. Fondation Roi Baudoin, 2007.

[2]    Psytoyens a vu le jour pour permettre à ces associations de se fédérer, de se rencontrer, d’échanger, d’œuvrer ensemble à une reconnaissance des réalités que les usagers en santé mentale vivent quotidiennement et de travailler à une plus grande participation citoyenne des usagers.

[3]    Parole d’un usager intégré dans le CA de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.

[4]    Annick Toussaint pour Psytoyens.

[5]    Source Wikipédia. Article Pyramide des besoins de Maslow. Dernière consultation en ligne en date du 24/05/2012

[6]    Annick Toussaint pour Psytoyens.

[7]    Idem.

[8]    Patchwork de paroles d’usagers du groupe Participation 2011 de Psytoyens.