Réhabilitation, un mot juste pour un nouveau paradigme ?

Réhabilitation, un mot juste pour un nouveau paradigme ?

Auteur : Marie Absil, Philosophe, animatrice au Centre Franco Basaglia

Résumé :  Les mots ont une dénotation, une définition au dictionnaire et une connotation, un sens subjectif. Revalidation/Réadaptation/Rééducation/Réhabilitation sont des termes utilisés un peu indifféremment dans les textes et les discours. Ils sont devenus d’un usage quasiment synonyme. Ils portent une connotation péjorative pour les personnes qu’ils décrivent. Des mots nouveaux pourraient traduire et instituer d’autres modèles plus positifs et émancipateurs pour les usagers.

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Le langage est aussi bien descripteur que créateur de réalité. Aussi, il est utile de se pencher avec attention sur le vocabulaire que nous employons. L’utilisation des mots à un effet créateur qui fait société en changeant la manière d’agir et de percevoir. Or, si les mots ont une dénotation, un sens propre, une définition au dictionnaire, ils ont aussi une connotation, un sens subjectif qui peut être différent d’une personne à l’autre. Dès lors, on note l’importance de « s’entendre sur les mots » si l’on veut éviter les conflits : les mots doivent être compris de la même manière par tous si l’on veut être en accord sur leur utilisation.

Quelles histoires voulons-nous raconter avec les usagers de santé mentale, quelle réalité voulons-nous faire advenir ? Comment les voyons-nous ? Comment voulons-nous travailler avec eux ? Quel pouvoir leur laisse-t-on sur leur propre projet de soins, de vie ? Quelle place acceptons-nous de leur laisser dans la société ? Pour répondre à ces questions, nous allons examiner quels mots sont employés dans les textes destinés à instituer certaines formes d’aide qui leur sont adressées.

Revalidation/Réadaptation/Rééducation/Réhabilitation : ces termes, qui sont utilisés un peu indifféremment sont devenus à l’usage quasiment synonyme. Que recouvrent-ils ? Quelle vision du monde et des personnes révèlent-ils ?

 

Définitions

Dans le secteur de la santé mentale en Belgique, mais aussi la littérature internationale, la terminologie définissant un certain type d’interventions varie entre « revalidation, réadaptation, rééducation (fonctionnelle) et réhabilitation ». Les conceptions de soins associées à ces termes peuvent cependant être sensiblement différentes. Il nous paraît dès lors indispensable de définir ces termes afin de préciser au mieux la terminologie et les concepts de soins développés ici.

Rééducation :

« Rééducation fonctionnelle » est un terme qui vient du vocabulaire de la médecine somatique, il dénote la récupération ad integrum de la fonction.

Au niveau de la connotation, « éducation, éducateur… » vient du latin « educere » : faire sortir, jeter dehors. Dans « éduquer » il y a une notion de « sortir de la maison, d’aller à l’extérieur », cela peut mettre en avant l’importance du dehors, du réseau. Dans ce sens le terme est plutôt positif, mais il peut être également ressenti comme infantilisant par des adultes car « éducation » renvoie aussi au monde de l’éducation et des enfants. De plus, le préfixe « re » indique que l’éducation est à recommencer, ce qui peut laisser sous-entendre qu’elle a été mal faite.

Revalidation :

La définition générale est « valider à nouveau ».

Pour la dénotation de la médecine somatique, « revalidation » entend des séquelles mais on assiste à une récupération de la fonction au moyen d’orthèses et d’aides techniques.

Au niveau de la connotation, « revalidation » renvoie à « invalidé » et « invalide ».

Réadaptation :

Pour la dénotation de la médecine somatique, « réadaptation » entend des séquelles majeures, sans récupération possible. Elle nécessite une adaptation de la fonction voire le recours à une autre fonction.

Au niveau de la connotation, le terme de « réadaptation » renvoie au fait d’être inadapté et de devoir se réadapter en vue d’un fonctionnement « normal ».

Réhabilitation :

Définition générale : Mettre un terme aux soupçons, critiques, mépris, etc., dont quelqu’un faisait l’objet en prouvant officiellement qu’il méritait ou qu’il mérite de nouveau la confiance, l’estime d’autrui.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (1974), la réhabilitation est « l’ensemble des activités assurant aux patients les conditions physiques, mentales et sociales optimales pour occuper par leurs moyens propres une place aussi normale que possible dans la société. »

Ici, la connotation négative est très forte puisque « réhabilitation » est un terme qui vient du domaine juridique (on réhabilite un condamné).

Si on se penche sur ces termes, on note qu’ils renvoient tous à un manque, à quelque chose qui ne fonctionne pas ou plus ou mal.  Ainsi, « revalidation » renvoie à « invalidité » ; « réadaptation » à « mal adapté » ; «rééducation » à «mal éduqué » ; « réhabilitation » au soupçon et au manque d’estime.

 

Mises en tension et perspectives

Les connotations attachées aux mots du domaine médical entraînent une vision normative des soins où il s’agit de rétablir le fonctionnement prémorbide de la personne. Ici, l’individu porte la responsabilité de son fonctionnement et les soins sont donnés dans une perspective d’adaptation de la personne à travers des stratégies réductrices de symptômes ou génératrices de compétences dont la finalité risque toujours de se réduire à mouler l’individu sur les exigences d’un monde qui lui reste problématique. En effet, la vision traditionnelle, est fondée sur une approche pathogénique dont le but est de parvenir, quand c’est possible, à une absence de psychopathologie. L’accent est ici mis sur l’évolution du trouble mental et repose sur l’utilisation d’indicateurs de la maladie mentale, comme ceux évaluant l’état symptomatique ou fonctionnel.

Cependant, cette conception a été considérablement élargie par la prise en compte des interactions entre l’individu et son environnement. Cette nouvelle dimension « psycho-sociale » a amené un glissement de la notion de réadaptation vers la notion de réhabilitation qui prête attention aux droits de l’usager.

La convention[1] du secteur de la revalidation psychosociale souligne que : « La réhabilitation psychosociale vise en effet à rendre ou à reconnaître à l’individu tous ses droits personnels et sociaux qui font de lui une personne à part entière et dont la différence est reconnue et acceptée. »

Cette nouvelle vision met l’emphase sur les transformations positives que vit la personne au fil de son suivi mais aussi sur les facteurs environnementaux qui les facilitent ou les entravent.

La réhabilitation psychosociale élabore des modes d’actions qui permettent l’ajustement entre un individu et son environnement social et familial. Cet ajustement n’est plus de la seule responsabilité de l’usager mais commence à être envisagé comme un partenariat : l’usager apprend à gérer ses difficultés personnelles tandis que la qualité d’accueil (de convivialité, de solidarité) de la cité commence à être interrogée.

Par exemple, quand on parle de « travail » de quoi parle-t-on quand on emploie ce mot ? Du « travail productif » au sens capitaliste, qui n’est pas forcément très accessible pour les personnes en souffrance mentale ?  Ou de travail dans le sens de  laisser aux individus la possibilité de « faire œuvre », comme faire du bénévolat dans le quartier ?

Avec ce modèle bio-psychosocial, il ne s’agit plus actuellement de faire porter à l’individu seul la responsabilité de son fonctionnement comme c’était le cas dans le modèle biomédical, résumé souvent par un schéma linéaire : affection → traitement → réadaptation → fonctionnement normatif. On présente l’environnement socio-économique comme étant pris en compte, ce qui renforce une conception normative des troubles psychiques présentés selon une conception multifonctionnelle qui finalement, interroge peu les rapports socio-économiques dans lesquels sont pris les personnes.

En 1995, l’OMS définit la réadaptation psychosociale selon le modèle bio-psychosocial : « La réadaptation psychosociale est un processus permettant aux personnes présentant une déficience, une incapacité ou un handicap dus à un trouble mental d’atteindre un degré optimal d’autonomie au sein de la communauté. Elle consiste à la fois à améliorer les compétences individuelles et à modifier l’environnement »[2].

 

Que semble dire le mot ?

Tous les termes que nous venons de passer en revue restent assez classiques, voire anciens et sont issus d’un modèle médical. Revalidation/Réadaptation/Rééducation sont des mots qui donnent à voir la personne souffrante comme un individu portant la responsabilité de sa maladie et l’effort de son adaptation. Ils portent une connotation péjorative pour les personnes qu’ils décrivent. Si on est aujourd’hui beaucoup plus tourné vers un modèle bio-psycho-social – qui a la prétention de prendre en compte la personne et son environnement – c’est malheureusement toujours à la personne qu’incombe la responsabilité du changement. Le « nouveau paradigme » n’est qu’une façade, d’ailleurs les termes qui le décrivent n’ont pas changés. En effet, le mot « réhabilitation » est en fait employé comme un synonyme des précédents au fil des textes et des discours.

La place de l’usager en santé mentale dans un parcours de soins et de vie pose des questions éthiques importantes. Sommes-nous certains de prendre en compte ses aspirations au-delà d’une approche thérapeutique, certes essentielle, mais traditionnellement axée sur l’aspect médical ? Même après avoir ajouté l’aspect social à la dimension médicale de nos modèles de suivi, sommes-nous sûrs aujourd’hui de bien écouter et de toujours prendre en compte ce que disent les usagers de leur pathologie, de leurs soins et de leurs attentes pour leur vie ? Il serait intéressant de penser à des mots nouveaux pour traduire et instituer d’autres modèles plus positifs et émancipateurs pour les usagers.

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Références

[1] Le Secteur de la Revalidation Psychosociale pour Personnes Adultes souffrant de Troubles Psychiatriques, conventions 7.72, juin 2006.

[2] Définition OMS 1995.