De l’influence médiatique sur la (dé)stigmatisation

De l’influence médiatique sur la (dé)stigmatisation

Auteur : Christophe Davenne, médiateur culturel et animateur au Centre Franco Basaglia

Résumé :  Entre amplification dramatique et simplification médiatique, l’opinion publique nourrit une grande partie de son imaginaire par ce que véhiculent les médias d’information dont les discours parfois simplificateurs s’avèrent ravageurs et contribuent à augmenter la stigmatisation dont sont victimes les personnes en souffrance mentale. Briser les stéréotypes est un enjeu majeur, dont la réalisation passe par une réelle collaboration entre communauté stigmatisée et médias d’information.

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Le mois de février 2013 a marqué le début du procès, devant les assises, de Kim De Gelder. Ce jeune homme doit répondre d’un triple assassinat perpétré en 2009 dans une crèche de Termonde ainsi que du meurtre d’une septuagénaire. Ses avocats plaident « l’irresponsabilité de ses actes » car c’est « un schizophrène qui doit rester à l’écart de la société ». La chambre du conseil de Termonde reconnaît qu’il souffre de « graves troubles de la personnalité et qu’il feint par moment des troubles psychotiques ». Il n’en faut pas plus pour que bon nombre de médias d’information, tant dans la presse écrite que télévisée, insistent sur le fait que l’accusé souffre de problèmes de santé mentale, accolant cela dans leurs titres avec le fait qu’il s’agisse d’un meurtrier.

« Kim De Gelder (…) fumer le calme quand il entend des voix »[1], « Kim De Gelder est ‘dément’, selon ses psychologues »[2], « Procès De Gelder : il ne feint pas, il est vraiment confus »[3] ou encore « Un contre-expert déclare De Gelder schizophrène »[4] sont parmi les titres qui fleurissent jour après jour dans la presse. Avec la désagréable impression de lire en filigrane qu’il s’agit non pas du procès d’un meurtrier mais bien celui d’une personne en souffrance mentale très dangereuse. Cette impression est renforcée lorsqu’on se penche sur les réactions du public face à ces articles : « Il va dire qu’il n’a pas fait exprès et que c’est son subconscient qui lui a ordonné de tuer », « Qu’on donne une leçon à ce genre d’individu », « Il entend des voix ? (…) qu’il brûle sur le bûcher », « Ca ne se soigne pas des gens comme ça (…) lapidation à des gens pareils », « En général, les psys sont aussi taré que lui »…

Bien sûr, il s’agit ici de réactions extrêmes trouvées sur les forums de discussions des sites de différents organes de presse mais il faut tout de même souligner que l’amalgame entre problème de santé mentale et dangerosité transparaît en permanence, parfois de manière plus nuancée, dans les réactions des internautes.

Si l’on peut comprendre que la colère s’empare de certaines sensibilités face à un tel drame, réduisant la personne incriminée à ce qu’elle est et non ce qu’elle a fait, il est plus interpellant encore de voir ces propos haineux rester présents sur les forums internet de ces quotidiens. Ceux-ci, en acceptant de les maintenir sur leur site internet, contribuent à véhiculer des préjugés et participent ainsi, à leur manière et sans doute sans même s’en rendre compte, à augmenter la stigmatisation dont sont victimes les personnes en souffrance mentale, bouclant une boucle qu’ils ont eux-mêmes démarré en publiant sur ce fait tragique, dans le cadre éditorial qui leur est propre.

Précisons que cette analyse se focalise volontairement sur les médias d’information et non sur les médias de divertissement (films, séries télévisées…). Ces derniers sont également de puissants vecteurs de stigmatisation dont le cadre se situe dans la fiction et dont le but est l’exploitation de stéréotypes au service d’un récit spectaculaire.

Entre amplification dramatique et simplification médiatique, l’opinion publique nourrit une grande partie de son imaginaire par ce que véhiculent les médias, et particulièrement les médias d’information dont les discours parfois simplificateurs s’avèrent ravageurs et contribuent à compliquer encore plus les situations vécues par les personnes qui sont, directement ou non, pointées du doigt.

L’influence des médias n’est plus à démontrer et va en grandissant au fur et à mesure que les supports d’information se multiplient et deviennent quasi-omniprésents (papier, tv, internet). Une étude menée par l’Université McGill (Canada)[5] a démontré que près de 40% des articles abordant des questions de santé mentale publiés dans les journaux mettent l’accent sur la dangerosité, la violence et la criminalité alors que seulement 12% traitent de ces questions sur un ton optimiste. Il est donc évident que cela contribue à augmenter la stigmatisation à l’endroit des personnes atteintes de problèmes de santé mentale. « Les médias influencent considérablement l’opinion publique, explique Michael Pietrus, directeur de l’initiative Changer les mentalités[6]. Leur façon de décrire les personnes ayant des problèmes de santé mentale joue un rôle déterminant dans la perpétuation des images négatives et des perceptions erronées de la maladie mentale. Ces images contribuent à déformer l’information. »[7]

Finalement réduites par les médias à des rôles de boucs émissaires, les personnes en souffrance mentale se retrouvent régulièrement, et malgré elles, au cœur de plusieurs peurs de la société. Perpétuées par les médias, ces peurs (dangerosité, violence, instabilité..) leur collent à la peau, marquant leurs existences au fer rouge allant jusqu’à provoquer plus de souffrance que la maladie elle-même.

Cette stigmatisation devient même un des facteurs qui dissuadent le plus les individus ayant des problèmes de santé mentale de chercher de l’aide. De plus, le pouvoir de persuasion des médias aidant, la stigmatisation rend inutile bon nombre d’initiatives prises dans le domaine de la santé mentale. Des mois, parfois même des années, passés à briser les stéréotypes se retrouvent balayés par une suite de déclarations médiatiques. La stigmatisation devient par là le comble de la souffrance.

 

Casser la stigmatisation

Nous l’avons vu, les personnes en souffrance mentale endossent régulièrement le rôle de boucs émissaires, formant par là un groupe dominé. A l’inverse, le lectorat/grand public/audience peut être considéré comme un groupe dominant dans ce rapport de force dont le liant est la stigmatisation. Il s’agit donc d’arriver à briser ce rapport. Cela ne peut se faire qu’en renégociant médiatiquement sa place dans l’espace public, en redéfinissant son image, cassant ainsi la stigmatisation. Paradoxalement, cela ne peut s’accomplir qu’avec le soutien volontariste de ces mêmes médias.

Par ailleurs, il faut noter qu’une résolution du Parlement européen sur la santé mentale, adoptée par la Commission le 21 avril 2009, souligne le rôle déterminant des médias dans le changement de mentalité à l’égard de la maladie mentale et demande que soient élaborées des lignes directrices européennes préconisant une véritable prise en charge de la maladie mentale par les médias[8]. Si les résultats se font encore attendre, il convient de le souligner et d’encourager le monde politique à se pencher concrètement sur le rapport des médias d’informations à la santé mentale.

L’industrie des médias d’information est très compétitive, de sorte que même les médias publics doivent rivaliser avec les médias privés dans l’originalité ou l’angle de reportage afin de capter le plus de diffusion ou de lectorat. Nous sommes donc confrontés en permanence à une course à l’image qui frappera l’audience et s’ancrera dans l’imaginaire collectif. Une image a une capacité de séduction et de fascination pour qui la reçoit, doublée d’une capacité fantasmatique laissant libre cours à l’imaginaire de tout un chacun dont l’interprétation est incontrôlable pour qui la produit. Dès lors que ces images contribuent à stigmatiser une communauté, quelle qu’elle soit, il est naturel de vouloir se défendre/rétablir la vérité/relativiser les faits en y répondant par un raisonnement réfléchi et argumenté. Malheureusement, un tel raisonnement n’aura pas le poids d’une image forte, pour différentes raisons : manque d’intérêt du grand public pour se pencher en profondeur sur le sujet, manque de temps à y consacrer, manque de sensationnalisme…. La meilleure façon de répondre à une image est donc d’utiliser souvent une autre image, plus forte encore.

C’est là l’enjeu d’une réelle collaboration entre les groupes stigmatisés et les médias d’informations. Au-delà d’une simple collaboration, il s’agirait même d’envisager celle-ci sous l’angle d’une co-production. C’est peut-être là la seule manière pour les journalistes de casser les images stigmatisantes et excluantes qu’ils véhiculent parfois malgré eux. Aussi consciencieux et ouvert que soit le journaliste professionnel, il ne s’agit plus de faire un reportage « sur » (une personne ou un groupe de personnes) mais bien de le faire « avec », de sensibiliser au choix des mots et des contenus et surtout d’aider à décrypter le sens des situations qui vont faire l’objet d’une mise en lumière. Cette forme de co-production médiatique est sans doute le moyen le plus rapide de briser les stéréotypes et de casser ainsi, peu à peu, la stigmatisation.

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Références

[1]    La Meuse, mardi 19 février 2013

[2]    Le Soir, jeudi 26 avril 2012

[3]    L’Avenir, vendredi 11 janvier 2013

[4]    Le Soir, vendredi 16 juillet 2010

[5]    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23442898

[6]    Changer les mentalités est une initiative lancée en 2009 au Canada par la Commission de la Santé Mentale du Canada. Son but est de réduire toute forme de stigmatisation.

[7]    Or, de nombreuses études internationales s’accordent sur le fait que seuls 3 à 5% d’actes criminels sont le fait de personnes en souffrance mentale. Il convient également de noter que ces personnes subissent de 7 à 17 fois plus d’actes de violence que la population générale.

[8]    http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?language=FR&reference=A6-0034/2009