Faire tenir le charme – Comment réparer quand on est fêlé.e ?

Autrice : Clémence Mercier, animatrice au Centre Franco Basaglia
Résumé : Nous sommes un groupe de chercheurs.euses. Nous avons produit une démarche émancipatrice au sujet de la psychiatrie et du soin. La question que nous nous posions était de savoir comment on pouvait se réparer quand on était fêlé.e. Par-là, nous avons voulu envisager de façon critique, pourquoi et à quel titre la psychiatrie, comme savoir, se voit dotée du pouvoir de dire qui est fêlé.e et se targue de pouvoir produire de la réparation sur ces personnes. Vous le verrez, le réel psychiatrique, de façon interpellante et paradoxale, est parcouru par de la violence. Nous avons développé des outils pour penser cet entremêlement entre violences vécues dans la chair des personnes psychiatrisées et prétention de l’institution à soigner.
Temps de lecture : 75 minutes
Un projet de recherche participative du Centre Franco Basaglia et du Club André Baillon – avec Clémence Mercier, Odile Smal et une quinzaine de personnes participantes, fondatrices du groupe et souhaitant garder l’anonymat.
Depuis le mois de septembre 2024, nous nous réunissons pour parler de psychiatrie. Nous nous voyons dans un service de santé mentale belge (SSM). Le groupe est composé de membres du lieu et de deux travailleuses, l’une engagée au SSM en question, l’autre au Centre Franco Basaglia. Au début, on s’est rassemblé pour parler de psychiatrie et de soin. Nous savions déjà qu’il nous faudrait trouver une formulation plus précise car le sujet est vaste et le rapport entre les deux mots, pas si évident.
Cette recherche s’accompagne d’un glossaire ; les mots qui y sont détaillés sont marqués par une * dans le texte.
Introduction. La formulation de la question
Nous avons, en partageant ce que nous évoquaient les mots de soin et de psychiatrie, formulé une question de recherche : « comment réparer quand on est fêlé.e ? » Cette question a émergé à l’intersection de deux contenus culturels ou images.
D’abord, le mot fêlé a circulé entre nous car un film venait de sortir et portait cet unique mot pour titre[1]. Le film relate l’histoire d’une institution qui accueille des personnes « violentées par la vie ».
L’autre image était cette technique japonaise de réparation des objets cassés, fendus, fêlés à partir de filaments dorés. Cette technique s’appelle le « kintsugi » et est généralement traduite comme « jointure en or » ou « réparation en or ». Les mots utilisés pour décrire cette technique sont, la plupart du temps, les suivants : il s’agirait d’un art de la sublimation qui permettrait de réparer ce qui est brisé en laissant apparentes les cicatrices, les marques de la fracture, de la brisure. Le kintsugi est une technique qui met en valeur les imperfections et tisse une esthétique sur le fait de rendre visible les marques d’une brissure, d’une cassure.
Ces deux mots, fêlé et réparer, nous en avons fait des compagnons ; ces compagnons fonctionnaient comme un clin d’œil dans le groupe, vers tous ceux et toutes celles qui avaient eu à entendre ce mot de façon injurieuse ou péjorative. Le reprendre du côté de la cassure et de sa possible réparation, c’était aussi commencer par s’arracher un vocabulaire. Nous avons choisi qu’ils seraient comme des guides pour baliser deux problèmes dont la psychiatrie semble aujourd’hui avoir la charge. D’une part, elle prétend dire qui est fêlé. D’autre part, réparer ces personnes. Notre questionnement consistait à éclairer le rapport de ces deux termes à la psychiatrie mais, également, à explorer si c’est vraiment la psychiatrie qui a la capacité de produire de la réparation.
Table des matières
Introduction. La formulation de la question
Nos perspectives ou comment formuler une pluralité de savoirs situés
1. C’est quoi « être fêlé.e » ? Problématique de la souffrance ou « qu’est ce qui t’amène en psychiatrie ? »
§1. Les différents types de souffrance : psychique, sociale et institutionnelle
§2. Problématique du pouvoir psychiatrique – qu’est-ce qui se passe quand on est pris dans les institutions psychiatriques, à l’hôpital mais pas seulement ?
On va parler :
1) de contrainte, d’isolement et de contention,
2) des conditions de travail et
3) de l’intrication des différents régimes de privation de liberté
2. C’est quoi « réparer » ? Problématique du paradigme du soin
§1. Guérir, soigner, rétablir : quel est l’horizon de la psychiatrie ?
On va parler :
1) Des traitements
2) Des diagnostics
3) De « faire tenir le charme »
§2. Qu’est-ce qui peut se passer en dehors, à côté ou dans la psychiatrie ? – Le soin à travers les liens, l’horizon d’une psychiatrie démocratique
Conclusion. Comment trouver des lignes de vie dans le maillage de l’exclusion et de la honte ?
