Les oiseaux

Les oiseaux - récit d'une maison hospitalière

Auteurs : Ce texte a été compilé, par Christian Legrève (animateur au Centre Franco Basaglia), à partir des contributions d’un petit réseau de personnes concernées, de près ou de plus loin, par les espaces culturels d’émancipation des gens qui vivent avec des troubles psychiques.

Résumé :  Il s’agissait d’inventer une histoire pour dire ce qui a de la valeur pour ces gens, et dans les lieux qu’ils fréquentent. En se projetant dans des personnages, nous voulions éclairer des interrogations :  Quelles ont été les bifurcations, les carrefours  dans ma vie ? Qu’est-ce qui m’a amené ici  ? Quel évènement ou bifurcation aurait pu m’amener ailleurs ?  Qu’est-ce que j’y cherche ? Et qu’est-ce que je cherche dans la vie, en fait ? Qu’est-ce qui est important pour moi et que je pense pouvoir trouver ici ? Et ailleurs aussi ? Quelles ont été les carrefours, les ruptures  dans l’existence de notre collectif ? Qu’est-ce qui nous a conduit.e.s à ce que nous sommes aujourd’hui ? Quel évènement ou bifurcation aurait pu nous amener ailleurs ?  Qu’est-ce qui est important pour nous ?

Temps de lecture : 20 minutes

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Récit : Les oiseaux

Il est bien, ce petit brasero ! Je ne sais plus qui l’a apporté. Tout fonte… Ça reste bien chaud. Il tire juste ce qu’il faut. Parfois, il y a  encore des braises un peu avant l’aube, quand le ciel commence à pâlir là-bas, au-delà du fleuve. Si quelqu’un est réveillé à ce moment-là par les oiseaux, il recharge un tout petit peu de bois. Un tout petit peu, sans relancer, et ça tient tout doucement jusqu’au matin.

On entend alors le feu qui ronronne gentiment dans le petit matin. Avec toujours les oiseaux. Les oiseaux… C’est une des grandes chances d’être ici, presque dehors. Ils font un raffut ! On a l’impression de dormir dans les bois. Y’en a que ça dérange. Je les entends qui grognent dans leur sac, qui râlent, qui se couvrent la tête. Moi, j’aime bien ! C’est comme s’il y avait, chaque matin, une bande de gamins qui jouent là-haut, qui se chamaillent. C’est le signe que la vie continue, qu’on est toujours là.

Je ne sais pas ce que c’est, comme oiseaux. On ne les voit jamais, d’ailleurs. Ils nichent un peu partout, dans les arbres qui ont poussé sur le terrain, avec le temps, dans les buissons  qui nous dissimulent. Et sur la plateforme, aussi, dans les fissures du ciment. Est-ce que les oiseaux aussi tissent des liens ? Entre eux, ou avec nous, ou avec leur nid, leur refuge ? Il y en a un que je suis presque sûr de le reconnaître. Il était là l’hiver passé, c’est un des premiers à chanter le matin. Dès que je sors la tête du sac de couchage, il s’arrête net. Je n’arrive pas à voir où il est, mais je sais qu’il est toujours là. Parfois, je fais semblant de me rendormir pour qu’il se remette à chanter.

La brèche dans la dalle du toit, au bout de la galerie, se révèle peu à peu. L’arête se dessine, d’abord côté ville. Puis le ciel se devine, gris plus clair que la nuit. Ensuite il vire à l’oranger, au rose. J’adore ce moment. Avant que ça ne commence…

Avant le flot des voitures sur le quai. Et, pour nous, l’errance à travers la ville. La recherche. Recherche de quoi ?

Avant le mal de crâne. Avant les voix. Avant les douleurs du corps malade et abîmé. Avant les prises de bec. Avant la ronde des flics et des éducs.

Avant ça, tout semble très évident. Le feu, les oiseaux, le ciel.

Je reste longtemps les yeux ouverts, avec l’air froid du matin sur mon visage. J’identifie les odeurs familières. Le feu, les vêtements portés longtemps, le tabac froid, l’urine, la peau tannée. Des odeurs qui effraient puis protègent et rassurent. Je les porte comme un badge. Même quand je ne les sens plus, je sais qu’elles sont là. Mais, à ce moment-ci du jour, j’arrive presque toujours à les percevoir.

Ensuite, se lever. Avec le feu qui marche, parfois avec un pot de café brûlant posé sur le braséro, c’est un grand bonheur de la vie. Savoir qu’on peut vraiment compter sur ceux qui vivent là. C’est comme si on avait trouvé… Nan, rien !

On fait le point. Rudy a mal dormi. Et Rose  a pleuré une partie de la nuit, à cause de son chien.  Romée se taira, comme toujours, mais il posera son regard attentif sur chacun. Clara et Fred ne sont toujours pas rentrés. Personne, en ville, n’a de nouvelles.

Je respire profondément l’odeur rassurante des braises encore chaudes pour empêcher mon ventre et mon cerveau de turbiner à plein régime d’angoisse pour nos absents aux traces invisibles. Nous n’en parlons presque pas. À demi-mots, à moindre geste, de peur de provoquer ce grand salopard de destin cruel et taquin. Mais je sais très bien que dans les entrailles de chacun de nous une inquiétude sourde gronde. Ils n’auraient quand même pas filé comme ça, sans rien nous dire ?

Des proches, source de plaisir, de réconfort et de soucis … Une famille fabriquée, éphémère… Mes pensées s’égarent …

Au début ce n’était pas comme cela, je ne faisais que passer après une longue période, enfin je l’imagine longue, d’observation et de rapprochement. J’étais méfiant. Je n’avais pas envie qu’on me demande du fric, une clope, du temps, mon histoire. Je voulais prendre et partir avant qu’on attende en retour. Et puis je suis entré. Quelques premiers moments fugaces, puis un mot, un café, un regard (un vrai, pas de ceux qui fuient) et enfin j’ai commencé à le sentir. D’abord ténu, fragile et inconstant, il me faisait peur autant qu’envie, me tétanisait autant qu’il m’apaisait. J’ai eu honte, je ne sais pas pourquoi. Ce lien qui se tissait a fini par me tenir sans me retenir. Un jour, je m’en souviens, Rudy et moi y partagions un café, je m’y suis senti à ma place. Je n’ai pas compris d’où venait cette émotion si forte que j’ai ressentie alors.

Dans une autre vie, j’ai connu cette situation particulière de lien fort qui se construit et de sensation d’être à ma place là où j’étais … mais c’était avant. Depuis, il y a eu les déchirures, les coups et les chutes. L’envie de vomir, le gout de la violence et de la solitude. Cette idée fixe que pour survivre, il faut renoncer, oublier, faire sans.

Mais ce moment avec Rudy, je l’ai vécu entier, sans résistance. Je l’ai vécu par hasard. Comme l’oiseau tombé du nid, j’ai vécu cette expérience qui m’a fait vaciller et m’a rempli d’un enthousiasme et d’une envie de vivre et de découvrir ce que je ne pensais pas pouvoir éprouver. Face à ce vertige, des liens se sont tissés et des relations se sont construites qui m’ont tenu debout et m’ont permis de vivre des moments d’intense joie et d’engagement total. Bon, tout cela avait été merveilleux et exaltant malgré les difficultés rencontrées mais le retour à la réalité a eu lieu ! Là encore, ces nœuds de relations et ces lieux où me poser, tels des refuges, ont amorti la chute de ce premier trop long envol…

J’enfile mes chaussettes.  Elles sont rêches à en tenir debout, bien plus aisément que ma colonne vertébrale qui se tord et me tord si souvent de douleur.

Je saute dans mon jean, ma veste, mes rangers. Je scrute le ciel gris clair avant de regarder ma montre. Une fois de plus mon horloge interne était bien réglée, du vrai papier à musique. Je ne me suis trompé que de deux minutes : il est 8h47.

« Bon, à ce soir les gars ! »

Je m’enfonce dans la ville, rue après rue, en essayant de ne pas laisser mon attention se porter sur les devantures lumineuses et garnies des boulangeries. Il me reste presque une heure à attendre avant de pouvoir passer la porte de la maison.

Je me pose au bord du canal. Une bande de cinq pigeons fait des tours au-dessus de ma tête, on dirait une escadrille joyeuse et en paix. Sur l’eau, un héron gracieux vient de se poser.

Pourquoi je me suis fritée avec eux ? Parce que Clara a surpris l’attention que je porte aux peintures de Fred, ses « œuvres de passage au-delà de nous » comme il dit ? Parce que Fred n’a pas supporté que je le relance pour aller… disons… agrémenter de graffs un dessous de pont lugubre ?

Mais merde…la vie, c’est ça ! Oser se poser, marquer les rues de notre présence, les places publiques, les ponts pour exister devant tout le monde, se pavaner dans nos rues, nos places, sur nos ponts. Tous ces endroits, ce sont les arbres où les hommes-oiseaux peuvent se poser, piailler, virevolter les uns au-dessus des autres, non ?

La vie, ma vie maintenant, c’est le grand large tous les jours et même dans tous les interstices de la ville, ce n’est pas le respect des petites cages de toutes sortes avec leurs petits propriétaires, c’est le partage des émotions et pas le silence imposé à nos bruissements intérieurs. Ça, c’est bien plus intéressant.

Enfin, « ça », c’est mes espoirs, les histoires que je me raconte pour reconstruire un monde souriant, un monde où je puisse vivre telle que je suis avec des milliers de pépiements différents autour de moi.

Méditer, essayer de saluer ma lumière intérieure c’est la seule façon de garder une force généreuse, seule façon de ne pas se laisser engluer par la mélancolie…. C’est ça… retrouver le feu, les oiseaux, le ciel, être comme l’eau de ce canal sombre mais reflétant la lumière et, toujours être en mouvement même dans l’immobilité.

Alors, je bouge pour rendre supportable l’insupportable.  Je migre.  Jusqu’à passer la porte de la maison. Les visages des habitués m’accueillent avec un sourire.

Se retrouver… se retrouver pour suspendre un instant – même court, le flot de la vie. Une vie pas drôle, pas généreuse à laquelle on finit quand même par s’accrocher.  Se poser et mettre en pause ce déplacement erratique ou cette succession d’étapes qui se répètent. Se retrouver dans ce lieu connu, chaleureux avec ses couleurs, ses odeurs, ses visages. Ici quelques-uns me parlent mais pas trop. M’écoutent, mais pas trop. Rient mais… Je suis baigné dans ces paroles et cela m’apaise. Je repense aux oiseaux chantant au petit matin, à la chaleur irradiant du braséro. Et je peux me détendre.

Au camp, les oiseaux ne cessent de faire des allers et retours jusqu’à ce petit arbre. Surtout au printemps. Ça me donne parfois des nausées. Ils tournent en rond. Peut-être une famille, ou une maman qui nourrit ses petits. Pense-t-elle à tous ses efforts ? Parfois elle a une chenille dans son bec, parfois une brindille. J’aime me dire que tous ces allers-retours l’aident à construire son nid. Se dit-elle qu’elle part en voyage à chaque fois ? Romée, elle, ne fait pas attention à ça.  J’avais parfois l’impression à être le seul à voir ce va-et-vient. Mais ça, c’était avant d’être entré dans la maison.

C’est Romée qui m’en a parlé pour la première fois. Je venais d’arriver au terrain vague, au camp, j’y étais bien. J’aimais y rester la journée, quand les autres erraient dans la ville, mais je tournais en rond, moi aussi. En me tendant un bout de papier, Romée a dit : « Tiens, si tu as froid, tu peux passer là ». C’était en juin, les journées et les nuits étaient chaudes et je n’ai pas compris. Comme c’était la première fois que j’entendais Romée dire quelque chose, j’y suis allé quand même. Je suis passé devant et puis je suis revenu tourner en rond. J’ai fait ça plusieurs fois, pendant un mois peut-être. Quand le camp se dispersait, je partais moi aussi, avec un but précis. Je passais devant la maison, puis je revenais. Mon premier rituel. Et puis un jour, je suis entré.

Cette maison-là, c’est comme un matin où l’oiseau chante pour me voir sortir la tête du sac. Un lien sans contrainte. Léger mais porteur. Un lieu où on m’attend doucement, sans impatience. Un lieu où reconstruire des rituels. Un lieu où les rythmes de tous sont respectés. Le café, les « bonjour », la cigarette, le sourire, la radio, les « Salut ! Tu vas bien ? Tu as une bonne mine. Ça va mieux ton pied ? ». Une discussion simple avec quelqu’un qui vous regarde vraiment. Qui vous vous rappelle que vous n’êtes pas seul. Qui ne vous regarde pas de travers. Qui ne regarde pas à travers vous, et parle à un nom de maladie ou à une « situation compliquée qu’il va falloir résoudre ». Une discussion simple avec des questions simples, pas de celles qui remuent la boue et raniment le dégoût. Simple comme « Bonjour ! Tu vas bien ? Tu as bonne mine. Ça va mieux ton pied ? ».

À la maison, j’ai l’impression de pouvoir être, simplement. Il me semble que je peux regarder ceux qui passent, ceux qui veulent s’installer mais qui n’osent pas; celles qui regardent tout, tout le temps, avec des grands yeux ouverts mais des oreilles fermées. Plus d’une fois, j’ai compris que ces personnes n’entendent rien, comme si un chant intérieur les titillait sans arrêt, un chant intérieur qu’elles auraient composé une fois, avant. Un chant qui, depuis, se développe à l’intérieur, sans voix, sans sons audibles ni pour les autres ni pour moi. Mais sur leur visage, je perçois nettement qu’une harmonie remonte de l’intérieur. Tout à l’inverse de « mes » oiseaux du matin. C’est comme si elles étaient des girouettes activées par le vent, unies à lui et à ses souffles bruyants, balancées, activées par lui.

En fait je crois que c’est quand une fille a lu des extraits de King Kong Théorie pour lancer la discussion sur les violences sexuelles que j’ai vraiment accroché. Ça m’a prise aux tripes. Les liens avec ma vie réelle, là, ils me sautaient à la gorge. Ce jour-là j’ai levé la main et pris la parole. Comme ça. Sans réfléchir, sans trembler -sauf peut-être de rage- et sans honte.  Pendant que je parlais je sentais le regard de Clara, et quand je me suis tue et que je l’ai croisé j’y ai vu de l’étonnement et de la fierté. Depuis, je me suis remise à lire alors que j’avais arrêté depuis, je ne sais pas, au moins 10 ans. De temps en temps je lis même aux copains du terrain des passages à haute voix. Ils écoutent à moitié ou s’en tapent un peu (sauf Rudy bien sûr) mais moi j’adore ça. S’ils n’étaient pas là, je crois que je lirais aux oiseaux.

Aujourd’hui l’invitée est une sorcière. Une vraie. Je repense à ce qu’a dit Nadia tout-à-l’heure : avec cette femme on va parler de liberté, de solidarité avec la nature et d’amour. Et tout d’un coup deux choses me paraissent évidentes : Clara et Fred ne peuvent être partis que dans les bois, quelque part, pour changer de monde (et peut-être un peu le monde aussi) et s’il y a bien un endroit et un moment où j’ai une chance de la revoir, elle, c’est ici et maintenant. Je souris, j’éprouve pendant un court instant une sensation étrange et rassurante à la fois : quelque chose comme de la confiance. Et me reviennent en tête les paroles d’une chanson resurgie de l’adolescence :

Si seulement nous avions

Le courage des oiseaux

Qui chantent

Dans le vent glacé

Je les regarde comme si c’était moi que je regardais. Comme si ces femmes me renvoyaient mon image ou plutôt une variété d’images de moi-même, constituées à différentes époques de ma vie : quand je n’entendais pas les oiseaux, quand je ne connaissais pas la chaleur partagée du brasero ou d’un lieu où j’ai pu me poser; un endroit avec des gens, des gens que je connais, des gens qui me touchent, me parlent, des gens qui pleurent devant moi, des gens qui me sourient, des gens qui partent sans crier gare et qu’on ne revoit pas. Toujours pas de nouvelles de Clara et Fred …

Pourquoi s’inquiéter ? Qu’est-ce que ça change? Ils ont toujours été libres. Libre de partir et de revenir ou non. Seul le mouvement compte. Clara et Fred, Fred et Clara, je suis sûre qu’ils ont dit à ceux qui les voyaient : « ne dites à personne qu’on était ici ou là, on ne veut plus les rencontrer. On se suffit désormais à nous-mêmes ». Mais comment est-ce possible de croire cela ? Pourquoi le croient-ils ?

Je suis sure qu’ils sont encore en ville, pas loin. Je suis certaine qu’ils nous observent pour savoir ce qu’on va faire de leur départ, de notre manque d’eux. C’est vrai qu’ils manquent. Qui ira chercher du charbon pour alimenter le brasero ? Qui trouvera du bois gratos ? Qui va aller chercher des vivres dans le quartier pour nos repas fous du soir ? Qui d’autre que Fred admirera les bouquets que j’installais dans la cour, faits de chardons, de pissenlits gigantesques et de petits myosotis ? Qui ? C’est tout un équilibre qu’ils ont brisé en se tirant mais surtout parce qu’ils ne se sont plus manifestés. J’en suis certaine : ils ne veulent plus qu’on les voit, ils veulent se fantomiser.

Depuis le jour où ils ont perdu leur enfant, ils ont décidé que la mort ne pouvait pas gagner sur tous les plans. Ça ne s’est pas passé d’un coup, ils sont d’abord restés chez eux, écrasés par la douleur, puis toute l’existence est devenue insupportable. ET puis, … combien de temps ça a pris ? Je ne sais pas, ils ont dit que c’était comme une voix qui traverse les limbes pour vous remonter vers la surface…. Et là pas de grande certitude juste celles de ne plus supporter les regards fuyants, les mots maladroits, tous ces conseils et ce monde toujours un peu à côté de ce que nous sommes … Alors à quoi bon …. La douleur était là, vive et elle ne partirait sans doute jamais. Rester en mouvement, toujours rester en mouvement.

« Tu m’parles, Nathalie ? Un café, deux eaux et un… ? Ah ! Un thé ». Bon, je prépare cette commande. J’ai horreur des thés en sachets.

J’avance avec précaution, le plateau à la main. Je suis comme une équilibriste… ouais, une équilibriste du dimanche, ou une équilibriste de tous les jours ! Chaque jour sur le fil. On ne sait pas ce qu’il peut se passer demain, il y a des jours qui nous portent, et d’autres qui nous coupent les ailes en plein vol. Mais la chaleur du brasero au petit matin, ça c’est important…

Je vois Franck à une table. Je vais rejoindre le compagnon de route de mes journées. Nous partageons, autour d’une tasse de café brulant,  nos mouvements des derniers jours, nos rencontres.  Toutes ces habitudes qui se sont forgées au fil du temps. Comme des routes migratoires. Elles sont parfois émaillées d’imprévus qui nous font bifurquer pour un temps.  Ou pour de bon.

Nous décidons de reprendre la route. Se déplacer car c’est ce qui nous reste. L’angoisse passe avec le mouvement, il l’emporte au loin. Nous voilà dans les rues de la ville, vers les lieux et les personnes familières.

Est-ce que la journée va se passer comme prévu jusqu’au soir et le retour au nid près du Brasero. Près de Rudy et des autres ? Est-ce que tout le monde sera là ? La liberté a comme prix l’incertitude. Porteuse de bon comme de mauvais.

Si seulement nous avions

Le courage des oiseaux

Qui chaaaaantent

Dans le vent glacé

 

Commentaire

Ce texte a été compilé à partir des contributions d’un petit réseau de personnes concernées, de près ou de plus loin, par les espaces culturels d’émancipation des gens qui vivent avec des troubles psychiques.

Il s’agissait d’inventer une histoire pour dire ce qui a de la valeur pour ces gens, et dans les lieux qu’ils fréquentent. En se projetant dans des personnages, nous voulions éclairer des interrogations  :  Quelles ont été les bifurcations, les carrefours  dans ma vie ? Qu’est-ce qui m’a amené ici  ? Quel évènement ou bifurcation aurait pu m’amener ailleurs ?  Qu’est-ce que j’y cherche ? Et qu’est-ce que je cherche dans la vie, en fait ? Qu’est-ce qui est important pour moi et que je pense pouvoir trouver ici ? Et ailleurs aussi ?

Quelles ont été les carrefours, les ruptures  dans l’existence de notre collectif ? Qu’est-ce qui nous a conduit.e.s à ce que nous sommes aujourd’hui ? Quel évènement ou bifurcation aurait pu nous amener ailleurs ?  Qu’est-ce qui est important pour nous ?

Le texte s’est construit à partir de trois  rondes d’écriture : chaque personne d’une ronde recevait par mail une ébauche de récit, à prolonger, transformer, orienter à sa guise, avant de l’envoyer à un.e autre partcipant.e.

Les trois textes ainsi obtenus ont été fondus en un seul, qui intègre tous les éléments inventés. Cette intégration fait apparaître des lignes de tensions dans la manière de penser les dispositifs.

Les personnages évoluent dans des espaces bricolés, éphémères, indéterminés ; mais ils ont aussi besoin de lieux structurés, de repères stables. Ils et elles passent des uns aux autres et semblent trouver une forme d’équilibre dans cette circulation.

Ils ont besoin de se livrer, de se confier, de s’appuyer sur d’autres, mais aussi de pouvoir se retrancher. D’être seul.es avec leur histoire, parfois au milieu des autres. Seul.e.s avec leurs rêves, leurs émotions, leurs colères. Avec leurs pensées, avec leur intériorité, dans une sorte de méditation ; mais ils sont aussi en prise avec la trivialité de l’existence. Les objets qui leur résistent, ceux qui les accompagnent, et qui s’usent. Les odeurs.

Leur existence est une errance, entre grand air et refuge, entre mouvement et ancrage, entre fuite et répit. Besoin de rien foutre, parce que ce monde, ils n’en ont rien à foutre. Et puis parfois, inexplicablement, pour un jour ou un mois, le désir de faire, de fabriquer, d’apporter quelque chose.

Ces tensions, ils les vivent bien. On peut même dire qu’ils en vivent. Du coup, l’existence, s’ils peuvent la vivre entre ces pôles, peut leur sembler digne d’être vécue. Complexe, riche, partagée entre souffrance et plénitude.

Et alors, parmi eux, il y a elles. Encore une toute autre histoire. Ou la même, mais qui se raconte autrement. Le texte entremêle délibérément féminin et masculin.

Dans l’histoire, Il y a le camp et  il y a la maison. Deux pôles qui, par bien des points, incarnent les tensions qui sont racontées. Ils se complètent. Et la perspective semble inversée : le camp, c’est ici, c’est rassurant, c’est tranquille. La maison, c’est là-bas. On s’y risque, on essaye de s’y faire. On revient au camp dès qu’on peut, dès qu’il faut. On s’envole. En cas de coup dur, ou de coup de mou. Pour dormir. Pour retrouver le ciel. Et les oiseaux.

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Plus spécifiquement, ce récit est à mettre en rapport avec ce que nous avons à raconter autour de notre première proposition politique : Reconnaître et développer des Centres de Jour à Activités Structurées. Ceux-ci permettent à leurs bénéficiaires de déployer leur vie en société.