Protéger : maison-institution et cellules de Louise Bourgeois
Auteur : Véronique Renier, coordinatrice/animatrice à Revers et Olivier Croufer, coordinateur du plaidoyer sociopolitique au Centre Franco Basaglia
Résumé : Cette analyse explore les formes de protection en regard des menaces très contemporaines qui visent plus directement les subjectivités en les dévalorisant ou plus simplement en les fragilisant. Un atelier de création littéraire dans une maison-institution et l’œuvre de la plasticienne Louise Bourgeois servent à faire varier en imagination ce qui peut protéger en explorant la gratitude, la précieuse circulation des objets-amis et l’entretien des alentours.
Temps de lecture : 15 minutes
Aujourd’hui, les menaces qui visent les personnes concernent souvent directement leur subjectivité[1]. Au plus dur, elles prennent la forme de blessures morales, d’humiliations, d’une déconsidération. Elles touchent des catégories susceptibles d’être ainsi dévalorisées telles des immigrés, des homosexuels, des chômeurs, des malades mentaux. Plus généralement, elles affectent par micro-fissures tout un chacun dans une société des singularités[2] où la vie, son sens, sa valeur ne sont plus donnés d’emblée par les structures sociales. Pour se protéger, les relations de reconnaissance sont ainsi devenues cruciales.
Pour explorer cette protection, nous nous sommes appuyés sur une institution (Revers[3]) qui accueille des personnes dont le parcours relève de la psychiatrie ou des soins de santé mentale. Il s’agit de vies fragilisées, de surcroît par une déconsidération voire une stigmatisation sociale. Vies souvent désignées, selon des préjugés, comme menaçantes et dangereuses. Nous nous sommes demandé ce qui peut faire protection dans cette maison-institution en explorant ce qui s’y déploie grâce à un atelier de création littéraire[4]. En cours d’analyse, nous passerons par l’œuvre de la plasticienne Louise Bourgeois (1911-2010).
La gratitude
De petits livres circulent, joliment édités. Ils assemblent des textes produits à l’atelier de création littéraire et des dessins des ateliers d’expression plastique. Il y a la collection « Souhaits », la collection « Écritures », les livres d’artistes à édition unique. Reliés de la main de l’artisan ou pliés en livres-accordéons ou encore présentés sous la forme de carnets à spirale. Ils circulent dans la maison-institution. Ils sont déposés dans une vitrine en pied à l’entrée de la salle commune. Ils circulent chez des amis, des gens qu’on connaît. Ils sont aussi déposés à la librairie. On tourne leurs pages avec délicatesse. On en prend soin. Ils disent ce que sont les vies. « Je suis un caillou, au bord de le mer du Nord, le long d’une mer du sud, au sol d’une ville du Portugal. Je suis un caillou, un caillou que l’on jette, un caillou qui coule, un caillou à ricochets. »[5] « Je suis une porte, la porte inviolable du coffre-fort, la porte automatique du grand magasin, la porte redoutée du pénitencier. Je suis une porte, la porte que l’on claque, avec colère, la porte refermée sans bruits, en douce. »[6]
Parmi les différents processus de reconnaissance possibles[7], la gratitude est probablement l’un des plus forts de cette maison-institution et les petits livres en sont une bonne illustration. La gratitude exprime de la reconnaissance à ce qui est donné. Elle est un retour à celui qui donne qui ne prend pas nécessairement la forme d’un contre-don, d’un bien ou d’un service donné à la suite. La gratitude peut s’exprimer par des paroles ou en préservant avec précaution ce qui est donné. Comme ces petits livres qui prennent soin de fragments de vies singulières donnés sous la forme de créations littéraires ou plastiques.
Le don est un partage volontaire de ce que l’on est ou de ce que l’on a. En l’occurrence, les petits livres partagent ce que sont les personnes qui ont participé à leur création. Les atmosphères de liberté et de découverte de ce qui fait ces singularités deviennent essentielles pour que le don se produise. La condition préalable est de pouvoir penser et s’exprimer avec liberté dans un espace qui accepte, comprend, se solidarise. Je me sens protégée quand je peux penser librement ce que je veux et exprimer librement mes pensées (…) quand je me sens comprise (…) acceptée (…); je me sens en sécurité là où il n’y a personne pour m’agresser (…) dans un lieu où l’on peut parler et où chacun est solidaire (…). Ou quand l’ambiance invite à la découverte de ce qui est aimé. Je me sens protégée à Revers en découvrant des choses que j’aime faire et voir (…) Revers m’aide à m’ouvrir à la vie et aux autres (…) je me balade, je vois des choses différentes et cela me fait du bien (…).
La protection est vécue dans une forte proximité entre la possibilité d’un don et l’éventualité d’une gratitude. Le don ne peut s’accomplir que pour autant que ce qui se donne puisse être reconnu, partagé, compris, circuler agréablement. Revers est fait pour moi ! Pour des gens à problèmes comme moi (…) j’y ai des amis qui m’aident dans ce que je vis (…); je me sens protégée à Revers car d’autres sont comme moi et que nous partageons beaucoup ensemble (…) je m’y sens comprise (…) entourée de gens agréables (…) ; Revers est un endroit convivial. Nous sommes tous différents mais l’entente est parfaite (…); Revers est un lieu où l’on se sent solidaire, en compagnie d’amis qui ont conscience que l’isolement est néfaste (…) ; A Revers, je suis protégé par les personnes sympathiques que j’y rencontre (…) je ris beaucoup (…) je m’y sens bien (…). Ce qui circule et donne de la reconnaissance est l’écoute, le dialogue, le partage. Côtoyer les membres de Revers et les divers animateurs, pourvus d’une grande capacité d’écoute et de beaucoup d’empathie, m’apporte une forme de protection indirecte par le dialogue, les conseils, le partage (…) ; Je me sens bien à Revers car les gens sont sympathiques. C’est agréable, par exemple, de manger tous ensemble, y compris avec les intervenants, ce qui n’est pas le cas à l’hôpital de jour que je fréquente aussi (…) ; C’est un lieu de réconfort et de reconnaissance (…) à l’accueil toujours excellent ; À Revers, je me sens protégée car les animateurs sont à l’écoute (…) on peut leur parler (…) on n’a pas peur de s’exprimer (…).
Puis il arrive que ce qui se donne soit enveloppé, happé dans un objet, un petit-livre par exemple. Bien que cet objet ait toujours été présent, du moins en tant que ligne de fuite libérant de la singularité. Mais un jour, cet objet devient l’événement qui permet de continuer de faire circuler de la gratitude, parfois ailleurs « C’est à travers la réalisation d’un ‘objet’ que nous témoignons de la vitalité et de la créativité des personnes, ‘objets’ qui sont parfois soumis aux regards extérieurs et à la critique. »[8]
Les objets-amis
Quel est le statut particulier de ces objets-traces ? Plus précisément, comment permettent-ils d’entretenir et de faire circuler la relation entre don et gratitude ?
Arrivée aux Etats-Unis en 1938, l’artiste Louise Bourgeois s’est mise à sculpter dans le bois des formes allongées de taille humaine, abstraites, dépouillées, sans bras, des sortes de totem. « Aussitôt arrivée aux Etats-Unis, je me suis mise à avoir le mal du pays. C’était un mal du pays souterrain et inconscient. Alors sans savoir pourquoi, je me suis mise à recréer des présences. J’étais sur le toit de la maison (…). J’ai adopté cet endroit en plein air et j’ai recréé tous les gens que j’avais laissés en France. Ils étaient massés les uns contre les autres ; ils représentaient tous ces gens dont je n’aurais pas admis qu’ils me manquaient. Je ne l’aurais pas admis, mais le fait est qu’ils me manquaient désespérément. »[9] Ces sculptures témoignent d’une vie, pas uniquement sous la perspective de ce qui l’affecte, mais aussi au travers de ce qu’elle déploie pour s’affirmer au-delà du chaos. « Malgré la jeunesse, le bonheur, il y avait quelque chose de mort, et il fallait que je le ressuscite. Et ce que je voulais ressusciter, c’était le droit d’être malheureuse, le droit d’être en deuil de la France. Ce n’est pas très compliqué mais c’est très violent. C’est d’une persistance phénoménale, mais c’est un chaos conquis. »[10]
Ces présences ne sont pas les personnes que Louise Bourgeois a aimées. Elles sont des symboles. Ce qui leur permet de continuer à circuler au-delà de la relation que Louise Bourgeois avait avec elles. Elles peuvent devenir l’ami des personnes qui auront à leur égard quelque attention. Louise Bourgeois donne ainsi cette belle définition du symbole dans ce qu’il permet d’effectuer dans le registre de l’amitié. « Par symbole, j’entends des choses qui sont vos amies, mais qui ne sont pas réelles. Les symboles sont indispensables, parce qu’ils vous permettent de communiquer à un niveau plus profond avec les gens. »[11]
D’ailleurs Louise Bourgeois veille à ce que la précaution amicale à l’égard de l’objet puisse se prolonger au-delà de sa création. Ces sculptures n’avaient pas de socle. « Le fait qu’elles n’avaient pas de base et donc ne puissent tenir debout toutes seules implique que quelqu’un s’occupe de ces sculptures, les porte, les adosse au mur, les rentre. »[12] L’attention, le soin se prolongent au-delà de la création de l’objet[13] comme un geste de gratitude pour ce qu’il nous exprime.
Les petits livres de la maison-institution sont les totems de Louise Bourgeois. En tant que symboles, ils sont les objets-amis, matériels et pratiques, pour prendre soin, exprimer de la gratitude et transformer nos relations.
L’alentour
Ce qui protège pourrait être relié à la circulation d’une trace de vie, d’une micro-production humaine que l’on s’occupe à préserver avec le plus grand soin. Revenons dans la maison-institution pour écouter ce qui se dit de la protection. Il semble que la formation d’un alentour est déterminante et que celui-ci se tisse d’abord de relations et d’activités.
« Je me sens protégée quand je suis avec une amie, avec ma famille (…) avec mes enfants ; quand je suis avec mon amoureux (…) ; quand mon frère ou mes sœurs me téléphonent (…) ; quand je suis accompagné d’un ami (…) ». La formation d’un « avec », d’une co-existence permet de protéger la vie. La maison-institution, la sphère habitée sont des espaces qui produisent ces relations, cette composition de présences. « Je me sens protégé quand je viens à Revers, parce qu’il n’y a que là que je rencontre des gens et que je peux discuter (…) ; j’ai besoin d’être occupé, ça me permet de faire des rencontres, de ne pas rester seul, chez moi, enfermé ». La réalisation d’activités permet la rencontre. L’espace protecteur se constitue dans ce mouvement où s’accomplissent des activités et se forment des relations. « L’occupation, c’est la santé : cela fait du bien car on ne reste pas seul chez soi (…) on apprend, on s’améliore (…) ; le travail, bénévolat ou activités, c’est souvent bénéfique tant pour la santé physique que psychique : il y a le fait d’être en mouvement, la satisfaction des tâches accomplies et la gratification reçue, très importante pour les personnes fragilisées (…) ; je me sens protégée à Revers (…) les activités m’occupent l’esprit et je déprime moins (…).
Chaque sphère habitée aère un ensemble d’activités et de relations qui parlent différemment de la vie. Dans cette maison-institution, les ateliers artistiques animent ce qui s’exprime, ce qui circule, ce qui se tait, se calme ou disparaît. « Revers protège mon mercredi matin, car ainsi je ne reste pas chez moi, en plan, à ne rien faire (…) Revers m’aide car j’adore écrire et ici, c’est ce que je fais (…); je me sens protégée à Revers car j’ai une occupation deux fois la semaine (…) je découvre et apprends des choses que j’aime faire, comme la photo, le théâtre (…) cela m’occupe l’esprit et je déprime moins (…) ; à Revers, je dessine et cela me protège (…) ça me détend (…) ; Je suis à Revers pour me sentir comme au travail (…) je peins, j’écris, je fais de la musique (…) j’y arrive et je m’améliore (…) ».
La protection tient dans cette composition d’un alentour, d’un espace qui est autour, insufflé par la co-présence des humains qui s’y animent. L’alentour est une atmo-sphère, l’air que l’on respire en un lieu. C’est une enveloppe qui dégage un climat des êtres et des choses, qui entretient des températures et des conforts. « Je me sens protégé chez moi (…) dans mon lit, avec une couverture et mon coussin ergonomique (…); quand je suis à la maison (…) avec mon entourage aux Habitations Protégées (…) ; quand j’ai un toit (…) le soir dans mon lit avec des draps de lit propres (…) quand j’ai du chauffage dans ma chambre (…); quand je peux me réchauffer au coin du feu (…) quand je peux prendre une douche bien chaude (…) ; quand j’ai faim et que j’ai des courses à la maison (…).
Les cellules-énigmes
Poursuivons l’exploration de l’alentour avec Louise Bourgeois. Un demi-siècle après les totems qu’elle créait sur le toit de sa maison, les objets-amis sont devenus des cellules-énigmes. Celles-ci donnent une forme plus spatiale à la composition d’une sculpture qui accueille des traces d’une vie humaine. Ces cellules nous aident plus directement à penser ce qui pourrait faire protection à partir de l’alentour.
Cell 1 (1991) se donne à voir de l’extérieur comme un contour de portes qui délimitent un espace intérieur. Ce sont des portes de récupération, déjà âgées, elles ont eu leur histoire ailleurs, dans des maisons probablement. Ces portes n’ont pas de serrure, pas de poignée, on ne sait pas s’enfermer. Elles tiennent suffisamment ensemble pour constituer une cellule et délimiter le regard ; mais les très légers interstices permettent en s’approchant de découvrir l’intérieur. Une porte avec des carreaux vitrés, dont la plupart sont d’ailleurs manquants, permet une intrusion plus massive. En circulant autour de la cellule, une scène émerge composée des fragments aperçus par les fentes. Une énigme se laisse déployer. On découvre un lit de métal, un sommier de fer sur lequel reposent des sacs en toile qui transportèrent jadis du courrier postal et qui servent aujourd’hui d’inconfortable matelas.
Pour Louise Bourgeois, donner forme au contour est essentiel pour déployer le mystère de certaines vies. Elle raconte Cell 1 à partir de la perméabilité aux regards entre l’intérieur et l’extérieur : « Dans le lit, tapie dans la peur, la personne dans la cellule se cache. Ce qu’elle cache est son état de malade. Elle est physiquement malade et elle a peur de la mort. Mais ce n’est pas si simple ; elle a d’autres peurs. Ce qui n’est pas justifié est sa peur que les gens sachent sa maladie. Elle est effrayée de ne pas avoir d’ami et elle a peur de perdre ceux qu’elle a.
Certaines maladies sont considérées comme honteuses parce que coupables. Alors elle est très jalouse de son intimité et craint les spectateurs. Elle craint que les gens viennent découvrir son intimité. Aussi, elle projette sa peur d’être vue, puisqu’elle est elle-même un voyeur, voyeur latent. Cela est exprimé par la fenêtre. Si tu peux regarder à l’extérieur, ils peuvent regarder dedans. Le verre transparent représente l’absence de secrets.
Les personnes malades meurent d’un besoin de compagnie, d’une main tendue, d’avoir faim de compassion. Elle s’enfuit des gens et les gens s’enfuient d’elle de peur de la contagion. Ainsi, elle est isolée par sa propre peur et par celle des autres. »[14]
Que la sphère soit perméable permet d’expliciter un problème de vie, de ne pas taire la peur mais de la mettre dans une forme spatiale qui la laisse vivre subtilement, avec pudeur. Avec la cellule, la protection ne se traduit pas dans la construction de murs qui cloisonneraient la vie, mais par l’instauration d’un contour qui permet d’exprimer et protéger ce qui fait vie. La protection s’accomplit grâce à la fragilité, la fluidité, la perméabilité des parois. La vie se fait au travers de cette porosité, dans le mouvement en spirale qui va de l’intérieur vers l’extérieur et vice versa.
L’intérieur de la cellule permet ainsi de déployer ce qui fait vie. Sur les trois sacs de courrier postal, Louise Bourgeois a brodé en lettres rouges trois phrases qui explicitent le travail artistique à l’œuvre dans la cellule :
- « I need my memories. They are my documents » (J’ai besoin de mes souvenirs, ils sont mes documents.)
- « Art is the garantee of sanity » (L’art est la garantie de la santé mentale.)
- « Pain is the ransom of formalism » (La douleur est la rançon du formalisme.)
Le processus qui donne de la santé passe par l’accueil des histoires et des souvenirs épars, dont ceux qui nous affectent de douleur. Là, une forme est à créer. Une forme qui accueille ces fragiles documents, mais qui ne les raconte pas et ne les ressasse pas. Dans un entretien, Louise Bourgeois précise son travail : « J’ai besoin de mes souvenirs. Ils sont mes documents. Je reste vigilante vis-à-vis d’eux. Ils sont mon intimité et j’en suis intensivement jalouse. Cézanne disait : ‘je suis jaloux de mes petites sensations’. Raconter ses souvenirs et ressasser est négatif. Nous devons faire des distinctions entre les souvenirs. Est-ce que vous allez vers eux ou est-ce qu’ils viennent vers vous, ici ? Si vous allez vers eux, vous perdez votre temps, vous perdez votre temps. La nostalgie n’est pas productive. S’ils viennent vers vous, ils sont les germes pour la sculpture. »[15]
Le processus créatif n’est possible que s’il accueille les souvenirs, c’est la raison pour laquelle les parois doivent être poreuses, permettre des relations entre l’intérieur et l’extérieur et de telle façon que nous puissions créer une forme qui ne soit pas un ressassement mais une création.
En poursuivant la découverte de Cell 1, on trouvera d’autres objets épars. Sur une chaise métallique et une table basse en bois sont posés une corde, des flacons de verres, une ampoule, un réveil, des pinces, des tubes d’éprouvette. Un pot de chambre blanc en céramique a été glissé sous la chaise. Une bouilloire traîne à côté de la table. Ce désordre agence un subtil chaos. Tel quel, le renvoi à une expérience vécue est improbable. Nous sommes face à des fragments, sans ordre hiérarchique, sans structure logique. Pourtant, un alentour prend consistance, comme une forme accordée au désordre. En ligne de fuite, « les références selon lesquelles on doit vivre d’une façon ordonnée disparaissent. »[16] L’objet-ami sous la forme de Cell 1 revient comme objet matériel et pratique pour transformer les lignes d’horizon à partir desquelles nous prenons soin de nos rapports au monde.
Perspectives
Reprenons les éléments du parcours qui nous a conduit des petits livres de la maison-institution aux cellules de Louise Bourgeois. Nous demandions « qu’est-ce que protéger » dans des contextes où les subjectivités se sentent menacées ou durement éprouvées. La maison-institution et les cellules de Louise Bourgeois n’ont servi qu’à faire varier en imagination ce que peut être la protection et amener quelques hypothèses et pistes de travail ultérieur.
Primo, la protection peut se vivre au travers d’un processus de reconnaissance qui lierait étroitement le don, partage de ce que l’on est, et la gratitude, expression pleine de sollicitude à ce qui est donné.
Secundo, pour entretenir et faire circuler la relation entre don et gratitude, l’œuvre-amie est le compagnon idéal. En tant que symbole, elle devient l’objet pratique et matériel qui peut circuler, duquel il est possible de prendre soin ou qui permet de faire varier en imagination les horizons vers lesquels nous nous reportons pour vivre nos relations.
Tertio, la composition d’un alentour est l’exercice le plus délicat sans lequel rien de ce processus de protection n’est possible. L’alentour est insufflé de la co-présence des humains qui s’y animent et des fragments de vie qui peuvent être accueillis. L’exercice incertain d’une protection tient dans l’atmosphère qui permet de donner un climat aux êtres et aux choses. La paroi d’alentour, sa porosité, les mouvements entre l’intérieur et l’extérieur qu’elle précipite ou ralentit sont indispensables au déploiement de cette atmosphère, à la protection de ce qui fait vie comme à la recherche de lignes de fuite vers lesquelles elle pourrait s’en aller.
Références
[1] Cette analyse prolonge une série qui portait sur les façons de protéger en regard de différentes conceptions sociétales de la menace : CROUFER O., Qu’est-ce que protéger (1) : une sécurité sociale ? ; Qu’est-ce que protéger (2) : des sphères de reconnaissance ? ; Qu’est-ce que protéger (3) : des sphères d’immunisation.
[2] Sur la société des singularités, voir ABSIL M., Constituer un commun : singularité, vulnérabilité, soin, Centre Franco Basaglia, mars 2014.
[3] Revers est un dispositif d’insertion par la culture et un service d’éducation permanente, situé à Liège, proposant à des adultes fragilisés des activités culturelles et artistiques. Plus d’informations sur www.revers.be
[4] Une quinzaine de participants de cet ateliers d’écriture hebdomadaire se sont penchés sur les questions, Dans la vie, qu’est-ce qui vous protège ? et En quoi Revers est-il protecteur ? Leurs écrits ont été repris partiellement dans les citations ci-après. Il s’agit de : Fatima Achfie, Abdel Arzafzaf, Giovanni Barbarino, Anthony Bellomo, Anaïs Budroni, Elvis Conil, Agnès Dewaels, Danielle Dewinter, Marisa D. G., Roland Frédéric, Françoise Lemin, Marie Luque, Agnès Motte, Marc Neys, Alain Quoidbach, Lydie Saublens, Didier Smans et Blanche Wera.
[5] Didier Smans dans « Les petits livres de Revers ».
[6] Jean-Pierre Collin dans « Les petits livres de Revers »
[7] Voir CROUFER O., Qu’est-ce que protéger (2) : des sphères de reconnaissances ?, Centre Franco Basaglia, juin 2014.
[8] dans « Les petits livres de Revers »
[9] Louise Bourgeois, citée dans BERNARDAC M.-L., Louise Bourgeois, Paris, Flammarion, 2006, p. 86.
[10] Louise Bourgeois, citée dans BERNARDAC M.-L., op. cit., p. 85.
[11] Louise Bourgeois, citée dans BERNARDAC M.-L., op. cit., pp. 128-129.
[12] FREMON J., Louise Bourgeois, femme-maison, Paris, L’Échoppe, 2013, p. 65
[13] Plus tard, Louise Bourgeois emploiera une autre résolution à la difficulté de se tenir debout, notamment dans One and others (1955) : les formes s’épauleront les unes les autres. Ce qui permet de présenter le problème autrement : « Au début, je faisais des figures isolées sans aucune liberté. Maintenant je vois mon travail comme des groupes d’objets reliés les uns aux autres. Mais il y a encore le sentiment avec lequel j’ai commencé : le drame d’un parmi d’autres. » (Louise Bourgeois, citée dans BERNARDAC M.-L., op. cit., pp. 94-95)
[14] Louise Bourgeois à propos de Cell 1 citée dans CRONE R., GRAF SCHAESBERG P., Louise Bourgeois. The secret of cells, Prestel, 2008, revised and expanded edition, p. 175
[15] Louise Bourgeois, citée par CRONE R., op. cit., p. 95.
[16] Louise Bourgeois, cité par CRONE R., op. cit., p. 97 et repris de : GOROVOY Jerry, Pandora Tabatabai Asbaghi, p. 170.