Exposition de soi dans les nouveaux médias

Exposition de soi dans les nouveaux médias

Auteur : Christophe Davenne, médiateur culturel et animateur au Centre Franco Basaglia

Résumé : Régulièrement abordées par les médias traditionnels sous un angle stigmatisant, les personnes ayant des modalités d’existence singulières trouvent dans les nouveaux médias (relevant principalement de la sphère de l’internet) des vecteurs plus satisfaisant d’expression et de dialogue. Pour autant, cette présence numérique et les contributions qu’elle implique se doit d’être abordée en tenant compte des conséquences de cette nouvelle manière de s’exposer.

Temps de lecture : 15 minutes

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Les médias traditionnels (journaux, radio, télévision…) s’intéressent régulièrement aux personnes ayant des modalités d’existence singulières, marginales, voire même problématiques. Le décalage apparent vis-à-vis de la société que constitue leur vécu alimente les médias traditionnels mais, paradoxalement, ces derniers ne leur laissent qu’un cadre réduit pour pouvoir s’exprimer. Tantôt considérées comme victimes, tantôt comme coupables, ces identités particulières sont encore trop souvent appréhendées sous un angle stigmatisant. C’est donc naturellement qu’une partie de ces personnes (principalement celles qui ont accès aux nouvelles technologies de la communication) a trouvé dans les nouveaux médias de nouveaux vecteurs d’expression, de dialogues et de réflexions.

 

Médias traditionnels vs. nouveaux médias

Le terme « média » désigne tout moyen de diffusion permettant la communication, soit de manière unilatérale (transmission d’un message), soit de manière multilatérale (échange d’informations). Ces médias peuvent être naturels (langage, écriture…) ou techniques (radio, télévision, internet..)[1]. Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les médias se divisent désormais en « médias traditionnels », qui ne demandent qu’une participation limitée de celui qui les utilise (exemple : radio, télévision, médias imprimés), et « nouveaux médias ». Derrière cette appellation se cache l’ensemble des médias qui non seulement demandent une implication plus active de la part de leurs utilisateurs, par la richesse de leurs contenus (eux-mêmes étant des médias différents : photos, textes, vidéos – on parle donc de contenu multimédia) mais aussi les médias pouvant être directement modifiés par les utilisateurs.

Sont donc considérés comme nouveaux médias :

  • Sites internet
  • Blogs, salons de clavardage (en anglais : « chat » ou « chatroom »)
  • Forums participatifs
  • Films et photographies numériques
  • Commerce électronique
  • Environnement de réalité virtuelle, réalité augmentée
  • Diffusion internet en temps réel (streaming)
  • Publicité en ligne
  • Réseaux sociaux (facebook, twitter)
  • Smartphones, gsm
  • SMS, MMS

Force est de constater que les citoyens baignent constamment, et de plus en plus, dans ces nouveaux médias. Ils rythment le quotidien et ont transformé radicalement la manière de s’informer et d’informer, permettant aux citoyens de s’émanciper du rôle de simples spectateurs pour devenir acteurs, vecteurs d’informations. Encore faut-il en entreprendre la démarche, évidemment. Ces nouveaux médias se caractérisent par leur rapidité, leur interactivité et leur relative indépendance. Ils fonctionnent de manière différente des médias traditionnels, se posant en sources complémentaires d’informations, ouvertes, participatives et permettant d’entretenir des flux d’informations quasiment ininterrompus, là où les médias traditionnels sont réglés selon des temporalités précises.

 

Intimité 2.0

Les nouveaux médias offrent des espaces d’expression plus ouverts et participatifs que ne le sont les médias traditionnels. Le traitement réservé à la santé mentale dans ces derniers véhiculant régulièrement une image différente de la réalité vécue par ses acteurs (tant les professionnels que les usagers), en augmentant la stigmatisation par la répercussion de stéréotypes et l’usage de raccourcis, il était naturel que les usagers en santé mentale fassent entendre leur voix par d’autres biais qu’ils pourraient véritablement s’approprier. Ils se sont ainsi investis dans de nouveaux médias et plus particulièrement ceux liés à internet. De plus, avec l’avènement du Web 2.0[2], une transition s’est opérée sur la Toile, se traduisant par le passage d’une communication à sens unique à une communication interactive et fédératrice, génératrice de communautés virtuelles dont les échanges sont bien réels, eux…

Il suffit désormais de faire, par exemple, une recherche sur internet (notons au passage que le verbe « googler » est en passe de rentrer dans le langage commun) aux mots  « schizophrénie blog »[3] pour s’apercevoir que bon nombre d’usagers de services de santé mentale et de personnes en souffrance se sont appropriés quelques espaces sur des serveurs répartis aux quatre coins du monde pour pouvoir (enfin ?) exprimer directement leur vécu et leur ressenti par rapport à la maladie. Abordés et nourris par une partie des personnes directement confrontées à la maladie, ces nouveaux vecteurs de communication semblent désormais être les plus à même d’être considérés comme des sources directes d’information, donnant la voix à des minorités discrètes, parfois même silencieuses, dans les médias traditionnels.

Laurence Martin souffre de problèmes de santé mentale. Elle a créé un blog[4] mis à jour très régulièrement et explique :

« J’ai décidé de créer mon blog, de raconter l’histoire de ma schizophrénie parce que je ne supportais plus le traitement qui était réservé aux personnes comme moi dans les médias traditionnels qui se basent sur des préjugés qu’ils créent eux-mêmes. Le silence des personnes qui souffrent permet indirectement aux médias de continuer à véhiculer des clichés, à stigmatiser les malades. Sur internet, je trouvais beaucoup de forums de patients mais l’idée de rester ‘entre nous’ me dérangeait. Je voulais sortir de ça. Il me fallait créer une autre source d’information, quelque chose qui me permettrait de lutter contre la stigmatisation sans cesse véhiculée par les médias traditionnels dès lors qu’ils parlaient de santé mentale. Je devais pouvoir m’exprimer. Se taire, c’est cautionner ce qui se dit dans les autres médias. »

Créé en avril 2011, le blog de Laurence Martin a accueilli plus de 45.000 visiteurs (45.684 à la date du 2 mai 2012), soit une moyenne d’un peu plus de 100 visites par jour. L’avantage d’un blog, c’est qu’il permet directement à la personne qui le lit de pouvoir réagir, commenter en temps réel. Certains la remercient, d’autres l’insultent. La majorité des retours reste malgré tout positive :

« Je reçois régulièrement des commentaires de personnes qui me lisent sur le blog. Ils m’expliquent que ça les fait réfléchir sur la schizophrénie et plus largement sur la santé mentale. Ils me disent que leur regard change. Je reçois parfois quelques insultes, des personnes qui pensent que je me livre trop, que je ne suis qu’une malade. Mais ça reste marginal, très rare. »

Sur un fond de militantisme pour un sujet différemment abordé dans les médias traditionnels, ces échanges, virtuels dans la forme mais bien réels dans le fond, se transforment en dialogues égalitaires et fédérateurs, plaçant l’émetteur du message et son récepteur sur un pied d’égalité et leur permettant d’échanger leur place à tour de rôle, enrichissant ainsi le point de vue de chacun en se passant d’intermédiaires comme les professionnels de l’information.

 

Une pl@ce sur le rése@u

Avoir une présence active sur internet, que ça soit par le biais d’un site, d’un blog ou d’une présence sur les réseaux sociaux, permet de se créer une place dans le monde, se donner un rôle à jouer au sein d’une dynamique de réseau, virtuel dans les contacts mais réels dans les échanges, une manière relative de sortir de l’isolement. C’est une arme à double tranchant qu’il faut pouvoir manier avec précaution. D’une part elle assure le fait de devenir un contributeur de l’internet en participant à une abondance d’informations s’émancipant rapidement de leur créateur, partagées d’un simple clic et laissées à l’appréciation et au jugement de tous, suscitant autant d’échanges que de réflexions, d’autre part elle pousse à se dévoiler, voire même s’exposer, de manière permanente. Il s’agit non seulement d’une exposition de soi, mais également une exposition à la critique, pas forcément argumentée et construite (l’anonymat derrière lequel il est simple de se replier permettant des dérives).

Dès lors, en se connectant à son réseau social préféré, ne conviendrait-il pas de prendre du recul et de s’interroger : qu’est-ce que j’attends de cette connexion ? Qu’est-ce que j’en obtiens ? Comment est-ce que je me sens lorsque je m’y connecte ? Comment est-ce que je me sens au moment de la déconnexion ? Se poser ces questions à titre individuel permettrait de cerner et définir son rapport aux réseaux sociaux. Mais ne mériteraient-elles pas d’être au centre d’une réflexion menée collectivement ?

Lire la proposition politique 04 – "Encourager les partenariats entre les services de soins de santé mentale et les dispositifs d’émancipation par la culture"

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Références

[1]    Source Wikipedia. Article Média. Dernière consultation le 18 avril 2012.

[2]    Le Web 2.0 est une évolution du Web vers plus de simplicité (ne nécessitant pas de grandes connaissances techniques ni informatiques pour les utilisateurs) et d’interactivité (permettant à chacun de contribuer sous différentes formes). Source Wikipedia.

[3]    Environ 2.000.000 de résultats via le moteur de recherche Google, ce qui ne signifie pas qu’il existe autant de blogs traitant de schizophrénie mais bien autant de liens y faisant référence.

[4]    http://blogschizo.wordpress.com