Petite histoire de l’hospitalité

Petite histoire de l'hospitalité

Auteur : Marie Absil, Philosophe, animatrice au Centre Franco Basaglia

Résumé :  Les mots ne font pas que décrire le monde, ils le créent aussi. C’est pourquoi nous nous attachons à expliciter le sens de certains mots et à évaluer le potentiel de création, d’imaginaire qu’ils recèlent. Nous nous intéressons cette fois au mot « hospitalité ».  Etymologie, définitions et déclinaisons du mot doivent nous permettre d’alimenter la controverse sur ce terme et de voir si son imaginaire peut servir à élargir, à enrichir nos réflexions sur les soins en santé mentale.

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Les mots ne font pas que décrire le monde, ils le créent aussi. C’est pourquoi nous nous attachons à expliciter certains mots afin de mieux discerner leur sens réel des représentations qu’ils drainent (sens explicite et implicite, ou encore dénotation[1] et connotation[2])  et ainsi d’évaluer le potentiel de création, d’imaginaire qu’ils recèlent.

Nous nous intéressons cette fois au mot « hospitalité ».  L’étymologie nous renseignera d’abord sur les origines de ce terme. Puis un rapide exposé des définitions que le Larousse en donne, nous permettra d’en déplier les significations pour examiner ce qu’elles recouvrent, dans l’histoire et aujourd’hui. Enfin, nous passerons en revue une déclinaison de mots forgés à partir d’ « hospitalité » afin d’alimenter la controverse sur ce terme et de voir si son imaginaire peut servir à élargir, à enrichir nos réflexions sur l’organisation des soins en santé mentale.

 

L’hospitalité comme droit sacré

L’étymologie du mot hospitalité nous apprend que ce terme est issu du latin hospitalitas, de hospitalis « d’hôte,  hospitalier »,  et de hospis « hôte ».

L’hospitalité est une institution de l’antiquité grecque et latine qui constitue un « droit réciproque de trouver logement et protection les uns chez les autres[3] ». Les lois de l’hospitalité sont valables entre les personnes, les familles, les villes.

« (…) les anciens croyaient que toute nourriture préparée sur un autel et partagée entre plusieurs  personnes  établissait  entre  elles  un  lien  indissoluble  et  une  union  sainte  (…) Cette même opinion est le principe de l’hospitalité antique. Il n’est pas de notre sujet de décrire cette curieuse institution. Disons seulement que la religion y eut une grande part. L’homme  qui  avait  réussi  à  atteindre  le  foyer  ne  pouvait  plus  être  regardé  comme  un étranger  (…)  Celui  qui  avait partagé  le  repas  sacré  était  pour  toujours  en  communauté religieuse avec son hôte (…) » Fustel de Coulanges, la Cité antique, III, 1[4]

A l’origine, l’hospitalité est donc un droit sacré que tout le monde est tenu de respecter. Les hôtes étaient liés par les liens indéfectibles de l’hospitalité. Le non-respect des lois de l’hospitalité par l’un des hôtes pouvait avait des conséquences très graves. Pensons à la guerre de Troie déclenchée par Pâris qui avait enlevé Hélène, la femme de son hôte Ménélas !

 

Hospitalité, un sens en cascade

Le dictionnaire Larousse en ligne nous donne, pour le terme « Hospitalité », une succession de trois définitions dont le sens se recouvre partiellement mais qui s’étagent du particulier au général[5] :

Action de recevoir et d’héberger chez soi gracieusement quelqu’un, par charité, libéralité, amitié (Offrir l’hospitalité à quelqu’un).

Générosité, bienveillance, cordialité dans la manière d’accueillir et de traiter ses hôtes (Un peuple connu pour son hospitalité).

Asile accordé à quelqu’un, à un groupe, par un pays (Donner l’hospitalité à des réfugiés politiques).

Ces trois définitions, ou déclinaison de sens, sont intéressantes dans la mesure où elles peuvent nous éclairer sur des aspects différents et complémentaires du mot « hospitalité ». Nous allons donc nous attarder sur chacune de ces significations afin d’examiner ce que ce terme d’ « hospitalité » peut nous apporter si on l’élève au rang de concept pour penser les soins de santé mentale.

La première définition nous donne le sens général du mot « hospitalité ». Ce sens général recouvre une action de l’ordre du don (recevoir, héberger) faite au nom des valeurs de charité, de libéralité (donner largement, sans contrepartie), ou encore d’amitié. L’hospitalité consiste donc à offrir gracieusement un refuge, un lieu de séjour, à quelqu’un qui en a besoin. Par rapport à l’Antiquité, l’hospitalité n’est plus le fait d’un droit sacré mais plutôt d’une bonne volonté individuelle ou collective.

La deuxième définition démontre que le terme d’ « hospitalité » peut également servir de qualificatif. Il désigne dans ce cas la manière d’être et d’agir d’une personne ou d’un groupe. Car il ne s’agit pas simplement d’accueillir des personnes qui en ont besoin, il faut le faire avec générosité, bienveillance, cordialité… Donc, tant comme substantif que comme qualificatif, le terme d’hospitalité a une dénotation et une connotation positives.

La troisième définition associe les mots « asile » et « hospitalité ». Ce qui peut être très éclairant pour nous, d’autant plus que cette définition s’attelle à la dimension politique du terme « hospitalité ». « Asile » vient du latin « asylum » qui veut dire « lieu inviolable ». A l’origine, « asile » désigne un privilège d’inviolabilité – ou droit d’asile – accordé à certaines personnes  ou reconnu à certains lieux (les temples et, plus tard les églises et abbayes). Par extension, le mot asile désigne tout lieu de séjour ou d’habitation qui offre une protection[6]. Cette tradition, d’abord religieuse, a été conservée et élargie lors de la laïcisation de l’Etat. L’exemple le plus notable est la Convention de Genève de 1951[7] qui définira un droit d’asile pour les réfugiés.

A la lumière de ces définitions, nous pouvons déduire que l’asile est le lieu (bâtiment, habitation, pays) où se réalise l’hospitalité. La Convention de Genève en a fait un droit politique.

 

Quand l’hospitalité tourne à l’aigre

Le terme hospitalité a connu de nombreuses déclinaisons à travers l’histoire et a ainsi donné naissance à de nouveaux mots. Hospice, Hôpital, Hosto, Hospitalisme déclinent et font varier le sens premier d’hospitalité.

Le mot hospice[8] apparaît vers 1294 avec le sens général de refuge. Cette signification évolue avec le temps. Au XVIIe siècle, il désigne une maison où sont reçus des étrangers à l’ordre religieux, des pèlerins ou encore des visiteurs laïcs, dans le sein d’un couvent. Au XVIIIe siècle voit émerger son sens moderne. Il s’agit alors d’établissements (le plus souvent tenus par des religieux) où son recueillis des vieillards, des indigents, des orphelins. Plus récemment, le mot hospice n’était plus utilisé que pour désigner les endroits où les vieillards finissaient leur vie… avant que le politiquement correct ne rebaptise ces lieux « Maisons de repos ».

Mais les hospices ne suffisent bientôt plus. En effet, la misère draine dans les villes toute une population (chômeurs, mendiants, déserteurs, prostituées, handicapés, mutilés, fous…) qui pose la question de leur assistance et de leur répression quand ils se montrent dangereux. C’est pourquoi, en 1656, Louis XIV promulgue le premier d’une succession d’édits qui commande la construction de lieux  suffisamment grands pour accueillir les errants. Ces  lieux d’accueil (En France: La Pitié, la Salpêtrière, Bicêtre…) recevront l’appellation générique d’Hôpital général. Le sens moderne d’ « hôpital » ne doit pas nous égarer ici. En effet, les Hôpitaux généraux ne sont pas des lieux de soins car, hormis le gîte et le couvert (dans des conditions qui apparentent plus l’asile à une prison), aucun soin spécifique n’est dispensé dans ces établissements qui sont plutôt des lieux de mise à l’écart de la société  pour  ses  éléments  perturbateurs[9]. Ce n’est qu’au XIXe siècle que le mot « hôpital » prendra son sens actuel pour désigner un lieu de soins.

Il est à cet égard amusant de noter que le mot Hosto[10], en argot militaire, désignait une prison, ou encore une salle de police, avant de devenir aujourd’hui une manière familière de nommer l’hôpital.

Hospitalisme[11] est un terme qui date des années 1940. Forgé dans le champ psychiatrique, il désigne les troubles liés à de longues périodes d’hospitalisation, notamment chez les enfants hospitalisés pour de longues durées et qui se voient ainsi privés de l’affection de leur mère[12].

 

Hospitalité : refuge ou prison ?

L’examen de l’étymologie, des définitions actuelles et de la déclinaison de termes forgés à partir du mot hospitalité nous fait entrevoir une controverse possible. Que pouvons-nous déduire des glissements de sens du terme hospitalité lui-même et des mots qui en sont dérivés ?

Tout d’abord, on peut remarquer que le statut de l’hospitalité change au cours de l’histoire. Droit sacré pendant l’Antiquité, il se transforme en simple devoir de charité pour les religieux jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. A l’époque moderne, plusieurs statuts coexistent, rendant le terme plus polysémique : charité, libéralité personnelle, manière d’être, droit politique reconnu de manière internationale. L’hospitalité est un comportement bienveillant et sympathique au minimum et un droit fondamental au maximum. L’amplitude du terme s’est donc considérablement élargie au cours du temps.

Les mots Hospice et hôpital forgés à partir d’hospitalité témoignent d’un souci de traduire dans la matérialité les lieux concrets où doit s’exercer l’hospitalité. Tandis que les mots hosto (à l’origine et non dans son sens actuel) et hospitalisme, forgés plus tardivement, témoignent quant à eux d’une certaine dérive de l’hospitalité quand elle est plus forcée qu’offerte.

Ces mots dérivés d’hospitalité sont plutôt chargés de connotations négatives. Il faut reconnaître que l’hospice ne représente pas un lieu très agréable et chaleureux dans nos imaginaires. De même que l’hôpital jusqu’au XIXe siècle, est plutôt l’endroit où l’on va pour mourir que pour se sentir mieux.

Quant à hospitalisme, il monte encore d’un cran dans la négativité au sens où cette négativité n’est plus fantasmée (ce n’est plus une simple représentation) mais objectivement étudiée et scientifiquement prouvée. Il est maintenant reconnu que les trop longs séjours à l’hôpital ont des conséquences délétères sur l’état de santé des patients (chronicisation, perte d’autonomie)[13].

 

Entre asile et hôpital et la santé mentale dans tout ça ?

Examinons maintenant ce terme d’hospitalité sous le prisme des politiques de soins en santé mentale. Nous l’avons vu, les hospices et les hôpitaux généraux étaient censés assurer cette fonction d’hospitalité pour les indigents. Les malades mentaux faisaient partie de ce contingent de pauvres et ne recevaient aucun traitement particulier.

C’est seulement à partir de la Révolution française, avec la création de l’asile, que les aliénés vont bénéficier de lieux de séjours spécifiques. L’hospitalité proposée par l’hôpital général se résumait au gîte (souvent à vie) tandis que l’asile offrait, en plus de l’hébergement, des traitements (hydrothérapie, chocs divers…) destinés à guérir le patient et sensés lui permettre d’envisager un retour à la vie en société (ce qui était très rarement le cas !)[14].

Héritiers de ce type d’établissements, nos hôpitaux psychiatriques actuels se veulent exclusivement centrés sur les traitements et les politiques de soins s’orientent de plus en plus vers de courts séjours. Dans ces conditions, les hôpitaux psychiatriques assurent-ils toujours leur mission traditionnelle d’hospitalité ?

On peut répondre oui dans la mesure où l’hôpital offre toujours un lieu de protection temporaire pour les personnes en difficulté. Un nombre assez élevé de patients continue cependant à y séjourner au long cours (plusieurs années) car les soins qui y sont prodigués ne conduisent pas systématiquement à la guérison. Plus encore, le séjour à l’hôpital ne renforce pas suffisamment la qualité des liens pour permettre un retour durable à la vie en société. S’il offre un refuge, l’espace protecteur qu’est l’hôpital est un espace clos sur lui-même qui relègue ses résidents en dehors du monde.

En témoigne le terme « Hospitalisme », forgé à l’origine pour désigner les carences affectives des jeunes enfants hospitalisé au long cours et qui se traduisait par une régression générale et de la dépression. On sait aujourd’hui que les longues périodes d’hospitalisation en psychiatrie ont également des effets délétères sur la santé des adultes : chronicisation, perte d’autonomie, perte du réseau social…ayant pour effet paradoxal que la sortie de l’hôpital devient une gageure pour ces personnes.

On le voit ici, l’hospitalité, quand elle est « forcée » peut se révéler à terme plutôt négative. C’est ainsi que nous bouclons la boucle, où la bonne volonté de départ traduite en hospitalité peut se muer en enfermement contraint si on n’y prend garde. Le fameux « séjour à l’hosto » argotique !

Ces différentes réflexions nous permettent d’affirmer que le mot « hospitalité » reste intéressant pour nos réflexions sur l’organisation des soins en santé mentale, à condition que les institutions en conservent la richesse de la polysémie initiale.

Pour aller plus loin dans la réflexion : lire la série "Hospitalité"

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Références

[1] La dénotation d’un mot est son sens propre, sa définition au dictionnaire.

[2] La connotation d’un mot est son sens subjectif, la manière dont chaque personne comprend le mot, ce qu’il évoque pour elle. La connotation d’un mot qui peut donc être différente d’une  personne à l’autre.

[3] Voir dictionnaire le Robert, 2013.

[4] Ibidem.

[5] Voir http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/hospitalit%C3%A9/40461

[6] Voir https://fr.wiktionary.org/wiki/asile et aussi http://www.littre.org/definition/asile

[7] Voir http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/StatusOfRefugees.aspx

[8] Source, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, 2012.

[9] Sur la naissance de l’hôpital, voir Marie Absil, Les représentations de la santé dans l’histoire, p.28

[10] Source, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, 2012.

[11] Ibidem.

[12] Voir, http://www.universalis.fr/encyclopedie/hospitalisme/

[13] Voir, http://www.psychiatries.be/faq/ , Quelles sont les preuves scientifiques de la validité des modèles d’organisation des soins de santé mentale basés dans le milieu de vie ?

[14]  Voir Marie Absil, Les représentations de la santé dans l’histoire, pp.34-36